L'intensité secrète de la vie quotidienne, William Nicholson
L'intensité secrète de la vie quotidienne, Trad. anglais Anne Hervouët, Février 2013, 410 p. 22
Ecrivain(s): William Nicholson Edition: Editions de Fallois
Avis aux futurs lecteurs de ce roman : risque fort d’addiction ! Certes il s’agit bien de vie quotidienne et donc, globalement, d’événements qui ne dépassent que rarement le possible, voire le probable de tout un chacun. Et pourtant, le talent de William Nicholson, qui manie la narration écrite comme il a su le faire en tant que scénariste dans des films qu’on a adorés (Gladiator par exemple), fait ici encore merveille. Jamais la polyphonie n’a eu tant de réalité que dans ce récit. Plus de dix personnages, tour à tour, au cœur d’une Angleterre rurale, racontent, se racontent, dans une tranche de vie.
Au centre de ce microcosme, Laura. Elle a une quarantaine d’années, un mari, deux enfants, des parents riches, tout va bien. Sauf que. Sauf que 20 ans après une rupture brutale et douloureuse, Nick ressurgit du passé et ébranle la vie de Laura.
L’art de Nicholson n’est pas dans l’écriture elle-même. Il écrit, on lit, on n’en demande ici guère plus. Les petites et grandes misères de tous les jours des personnages, leurs joies aussi, se croisent et se décroisent avec une énergie de chaque instant, un rythme soutenu, une sorte d’évidence. Pas un chapitre qui ne nous captive pas, on veut la suite, comme les soirs de diffusion de nos séries télévisées favorites. Et pourtant, aucun doute, il s’agit bien de faits de la vie quotidienne.
Le fiévreux Henry, époux de Laura :
« La maison achetée grâce à l’argent du père de Laura. Les factures de l’école réglées par l’argent du père de Laura. Et au courrier ce matin, la facture de l’assurance : plus de deux mille livres. Les paiements par carte de mois dernier pas encore débités, le mazout de la chaudière, quatre cents livres pour la remplir au quart, les deux voitures qui doivent partir en révision. »
La vieille Mme Dickinson :
« Elle attrape fermement l’extrémité es bras de son fauteuil, raidit ses forces pour soulever sa carcasse fragile et tire. Deux fois et elle se lève. L’astuce, c’est de saisir le bon moment, de façon à caler ses membres inférieurs bien comme il faut, avant que la gravité ne la fasse basculer en arrière. L’arthrose, c’est une telle perte de temps. Il faut tellement de petits stratagèmes pour faire ce qui autrefois relevait de l’instinct. »
Et peu à peu, chapitre après chapitre, voix après voix, on s’aperçoit que ces chroniques du quotidien constitue une vraie chorale, la palpitation du monde des humains, le pullulement des affects, les vertiges des grandeurs et des bassesses de l’âme. Le regard de William Nicholson est à la fois tendre et affuté comme un scalpel : il n’accuse pas, ne condamne pas, ne pardonne pas non plus. Il se pose sur ce bout d’humanité comme celui du père fondateur de ce petit monde qui ne peut plus rien sur les trajectoires de ses créatures. Comment ne pas entendre que c’est de cela qu’il parle – de lui-même - quand il fait dire au pasteur du coin :
« C’est une sensation douce de flottement, une vue surélevée du monde qui doit ressembler, imagine-t-il, à celle de Dieu. Depuis ce nuage dense, il contemple en contrebas les agissements des hommes, ce qui l’amuse beaucoup. Leurs fastes, leurs folies et, au bout du compte, leur futilité dont tels des enfants ils n’ont aucune conscience. »
Le monde que Nicholson crée sous nos yeux de lecteurs, c’est le monde. Tout bête. Mais d’une intensité invraisemblable tant les hommes, les femmes, ne savent vivre aucun moment – pas même le plus futile – autrement que si c’était le moment le plus important de leur vie.
Prévoyez quelques soirées très occupées par cette lecture.
Leon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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