Poèmes de la mémoire et autres mouvements, Conceiçâo Evaristo (par Patrick Devaux)
Poèmes de la mémoire et autres mouvements, mars 2019, trad. portugais (Brésil) Rose Mary Osorio, Pierre Grouix, édition bilingue, 208 pages, 16 €
Ecrivain(s): Conceição Evaristo Edition: Editions Des Femmes - Antoinette FouqueSachant que « le mystère subsiste au-delà des eaux », la poète, fragmentée de souvenirs, rassemble les pièces de son puzzle, son émotion en continu lui servant de cheminement. Le puzzle, rassemblé, devrait ainsi servir d’exemple à une sorte de permanence collective. En constante germination, les mots oscillent entre le vécu et l’espérance, entre ce qui est dit et ce qu’il faut peut-être deviner d’un monde ressenti en marche malgré une mémoire douloureuse : « Ce certificat de décès, les anciens le savent, a été gravé depuis le temps des négriers ».
Revendiquant sa féminité, chaque femme portant en elle « le calme et le désespoir », l’auteur a pleine conscience de sa participation, aussi par la poésie, à la germination du monde, au déploiement et à la vivacité des partages nonobstant les souvenirs douloureux : « La voix de ma mère/ a fait tout bas écho à la révolte/ au fond des cuisines des autres/ en-dessous des piles/ de linge sale des Blancs/ par le chemin poussiéreux/ menant à la favela/ Ma voix fait encore/ écho aux vers perplexes/ avec des rimes de sang/ et/ de faim », mais l’avenir pointe ses mots : « La résonance se fera entendre/ dans la voix de ma fille/ L’écho de la Vie-liberté ».
Le texte fort sera toujours celui du vécu, ce que rappelle l’autrice avec la force d’un texte comme « Favela » où « des baraques montent la garde de la nuit ». Outre l’éveil suscité, il y a cette tension d’accumulation urbaine où « des balles de sang consument des corps en plein vol ». La vie est décrite, à deviner dans le décor mis en place, la poète n’ayant aucun doute sur la conformité du lecteur prévue pour la lire, la poésie succincte décrivant mieux que la prose ne pourrait le faire à cause des survies suggérées plutôt que dites car, en effet, « sous la langue, la miette de pain/ joue à la faim ».
Le temps d’une écriture ou d’une vie passe ainsi entre Poèmes de la mémoire et autres mouvements, rappelant, de cette façon, la condition de nos acquis puisque, en effet, « il est des mondes submergés que seul pénètre le silence de la poésie ».
Patrick Devaux
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