Pars, le vent se lève, Han Kang
Pars, le vent se lève, mars 2015, traduit du coréen par Lee Tae Yeon et Geneviève Roux-Faucard (바람이 분다, 가라, Chaesikju-uija, 2010), 356 pages, 21 €
Ecrivain(s): Han Kang Edition: Decrescenzo Editeurs
Les lecteurs les plus attentifs ont peut-être déjà lu cette auteure coréenne que les éditions Decrescenzo nous font découvrir, son roman le plus connu hors de Corée, La Végétarienne, ayant fait l’objet d’une publication par Le serpent à plumes et une nouvelle intitulée Les Chiens au soleil couchant avait été également publiée dans une anthologie il y a quelques années chez Zulma (Cocktail Sugar et autres nouvelles de Corée, 2011). Une petite recherche nous apprend que Han Kang est également musicienne et que depuis sa première œuvre publiée en 1994, à 25 ans, une quinzaine de ses œuvres ont été éditées dont plusieurs récompensées par divers prix littéraires coréens, trois ont été adaptées au cinéma.
Pars, le vent se lève nous plonge dans une quête qui est aussi enquête sur les pas de Jeong-hee, une jeune femme qui veut comprendre pourquoi son amie d’enfance, artiste exigeante et recluse, s’est suicidée. Ou plutôt qui se serait suicidée. Jeong-hee ne croit en effet pas au suicide de Seo In-ju. Replongeant dans leur enfance commune, elle remonte le fil de leurs vies chaotiques, où se sont enchaînées les brisures et les blessures, poursuivant de sa volonté de comprendre et de démentir les autres acteurs et témoins de la vie d’In-ju.
Enquête sur une mort suspecte et si peu annoncée, le récit est surtout une quête de la mémoire et de la lumière, de la vérité qui peut se déposer dans les œuvres d’art et dans le travail d’un artiste, des mensonges et des travestissements du marché de l’art et des convenances sociales. Page après page, par touches successives et infiniment variées, suivant les chemins hésitants et décisifs de l’encre et de l’eau sur le hanji (un papier à base de fibre de mûrier), un monde prend forme, avec ses ombres et ses lumières, ses tensions et ses espaces de paix, avec ses violences et ses tendresses. Récit classique, poésie, aphorismes, dialogues tronqués et orphelins composent petit à petit une œuvre qui ne ressemble pas beaucoup à ce que nous avons l’habitude de lire, sans paraître pour autant d’une étrangeté radicale, qui nous séduirait par sidération ou par surprise. La précision de l’écriture ne cesse d’ouvrir à d’autres visions et compréhensions du monde. Ecriture spécifiquement féminine et/ou coréenne ? Nous laisserons les spécialistes en littérature orientale ou comparée disserter sur cela. Pour nous, simple lecteur, nous sommes touché par cette relative étrangeté qui installe un climat et un rythme qui ouvrent des portes par lesquelles nous passons volontiers et qui nous révèlent des paysages qui éclairent notre propre monde, tout aussi humain, désespérément et heureusement humain. Un monde qu’il faut savoir voir et entendre au delà des apparences, comme la mère d’In-ju qui pouvait écouter sans cesse la deuxième symphonie de Gustav Mahler (Résurrection) et savait entendre la vérité du chant final (Urlicht) dans la musique, en lire en négatif le sens et la signification.
Un récit qui dit sans insister, sans ajouter à ce qui est déjà et n’a pas besoin d’être rabâché, qui cherche à nous révéler le cœur des choses et des êtres, partagés entre forces de vie et vertiges de disparition. Une plume – ou un pinceau – dont la découverte pourra être un vrai enrichissement pour celles et ceux qui se laisseront tenter par l’expérience.
Signalons qu’en parallèle à cette édition, Le serpent à plumes faisait paraître un autre roman de Han Kang, La Végétarienne (채식주의자, 2007).
Marc Ossorguine
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