Lumière, doucement, Marian Draghici (par Patrick Devaux)
Lumière, doucement, avril 2018, trad. roumain, Sonia Elvireanu, 114 pages, 13,50 €
Ecrivain(s): Marian Draghici Edition: L'Harmattan
La mer, la lumière et puis la présence obsédante qui s’avance sur la pointe des douleurs :
« doucement, viens à moi mot à mot » avec aussi le poids d’une plume passant par « un hibou de dix tonnes » pour faire apparaître, dans cette sorte de rêve, la « chose », la douleur transcendant l’image de souvenirs doux rêvés en cauchemars colorés à l’instar d’un film terrifiant puisque « elle souriait à la fenêtre/ après qu’on lui avait arraché/ mains/ cœur/ cheveux ».
Le souvenir se fait terre, os, cheveux, autant d’images suggérant une sorte d’éclatement de la stupéfaction. Comme une idée se serait jetée contre un mur le souvenir la tête la première. Avec une dislocation à partir de soi éclaboussée sur les éléments tout autour, le texte est pressenti, page après page, de titres improbables annonçant le chaos. J’ai songé à des tableaux de Bosch où toute l’humanité s’éclate en diverses attitudes quotidiennes exacerbées dans une imagination prolifique.
Les mots inconsistants claquent devant la porte où se coince le doigt du remords que l’auteur annonce « mélodieux, enchanteur », comme s’il « voyait des feux s’allumer sur la mer, un homme marcher dans les champs pour rire tout seul ».
Les gestes quotidiens sont devenus mécaniques, exacerbés au-delà d’eux-mêmes pour la prise de conscience de seulement fonctionner en état de survie, comme après un choc opératoire ou une survivance échappée de quelque chose de puissant. Le texte parfois répété dans un autre caractère d’écriture suggère, de cette façon, à la fois le miroir, l’absence et le vide où survit, laborieux, l’acte d’écrire : « le poète comme l’abeille sidérée/ le rayon sans cesse sur sa survie/ jusqu’à l’aube alluma/ le mur en cire de son travail ».
Mort et vie sont mêlés avec des références de retour aux sources et le film qu’on se fait de soi en situation d’être seul être à se souvenir de cette façon.
L’extraordinaire dans l’ordinaire de tout fait mouche avec un style mêlant surréalisme et romantisme façon Milosz, une touche expressionniste pour les douleurs évoquées figeant aussi des images saisissantes « en allant jusqu’au bout de son désespoir sans se plaindre ».
Ambiguïté à nier « l’impuissante poésie » ? Certes non car la présence de la défunte n’en est que plus forte, accentuée d’un délire continu qui s’attribue tout ce qui passe dans sa vue, dans ses mains.
Le cil de la beauté de la vie regarde la mort en face, l’accuse d’être.
Le texte ricane et s’esclaffe de sa propre impuissance. Les mots deviennent une sorte de prétexte à détrousser le cadavre, à le détester jusqu’à ce qu’il devienne lumière puisque l’oubli n’est pas possible, même s’il est parfois référencé de citations bibliques.
Sorte de folie où le poète est interné en lui-même puisqu’il est convaincu de l’amour au-delà des apparences de la mort, et ce, dans les deux sens (« dans quelque chose de plus réel que le néant »), interpellant parfois Dieu « en coassant », rappelant ainsi notre sautillante et hésitante foi car on ne peut se contenter de Dieu sans un peu lui en vouloir ; en effet, « comment prier avec un moignon noir en cendres ? ».
L’auteur semble parfois se noyer dans un exotisme provocateur pour soudainement faire surgir l’essentiel : « ne te courbe que pour aimer ; si tu meurs, tu aimes encore ».
Patrick Devaux
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