Les partisans, Aharon Appelfeld (2ème article)
Les partisans, mai 2015, trad. de l’hébreu par Valérie Zenatti, 319 pages, 22 €
Ecrivain(s): Aharon Appelfeld Edition: L'Olivier (Seuil)
Au début, ils sont une poignée d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards, unis par un destin commun : résister. Venus de tous horizons politiques et sociaux, réchappés qui du ghetto, qui d’une rafle, qui du quai d’un train de la mort : « Pourtant, Kamil et Félix réussirent à organiser l’évasion de quelques personnes qui étaient dans des brigades de travail, et d’autres qui étaient déjà sur le quai de la gare. Moi aussi, par chance ou par miracle, je les ai rencontrés » (p.16). Rattachés à la vie par la foi en Dieu, en l’homme, en l’esprit : « Quand l’un de nous est submergé par la mélancolie, nous l’entourons avec délicatesse et essayant de parler à son cœur. Parfois un mot juste lui redonne vie, mais la plupart du temps les mots n’ont pas le pouvoir de l’arracher au piège dans lequel il est pris » (p.34). Des êtres détournés de leur vie pour incarner un autre destin, des êtres que la vie communautaire rend différents. Ils endossent alors le rôle qui leur est échu, distribué par les circonstances : Kamil, promis à une brillante carrière d’architecte prend naturellement le commandement du groupe. Non religieux mais spirituel, il prononce parfois des paroles qui le dépassent.
Edmund, le narrateur de dix-sept ans, séduit par une jeune Ukrainienne non juive, se recentre sur lui, premier pas pour s’offrir et s’ouvrir à autrui.
Danzig adopte le petit Milio, un enfant mutique de deux ans, aux yeux grands ouverts sur le monde, dont il est certain qu’un jour il parlera.
Michaël, un enfant de huit ans, aidé par Maxi qui l’a pris sous son aile, ne cesse d’apprendre et de développer ses facultés naturelles.
… Mais aussi Félix, le « taiseux », second de Kamil et aussi son contraire, Tsila la cuisinière qui d’un rien élabore comme par magie des mets savoureux et variés, Isidore, jeune rescapé qui rejoint le groupe et qui, traversé par l’esprit de son grand-père très religieux, dit les prières d’une voix qui transporte, mais qui avouera : « La prière est en moi mais pas la foi » (p.192), Karl, le communiste au cœur d’enfant, et bien sûr la vieille Tsirel dont l’âge est inconnu et qui parle avec la voix des ancêtres, qui mourra sur sa chaise à porteur et sera enterrée avec elle dans le sol gelé : « Elle sait des choses que tout le monde ignore dans notre groupe : les règles du shabbat et des fêtes, les lois religieuses portant sur les relations entre l’homme et son prochain, l’homme et le Créateur. Et plus encore : elle se souvient de chacun de nos parents » (p.39).
Tous les hommes sont des géants, tous ont une stature imposante, aucun n’est un combattant, aucun n’est violent. Mais tous sont en réaction, tout aussi simplement qu’un corps chimique réagit en accordou en opposition avec un autre. On décide pour eux, on a décidé pour eux qu’ils seraient ce corps défendant.
La dimension spirituelle : l’ouverture aux autres, l’écoute, les lectures et les débats de leurs soirées de méditation, les chants partagés, leur appel vers le haut, la cime de la montagne après le pays de l’eau et la neige qui ne cesse de tomber, puis, après l’ultime combat, le soleil aveuglant levé sur le sol glacé, toutes choses qui tirent vers le haut, l’élévation n’est pas que physique, ardue, rendue terriblement précaire par les embûches du chemin :
« L’eau et l’humidité agissent sur nous avec toute leur puissance, sans nul doute. Elles commencent par attaquer le corps, puis s’infiltrent dans l’âme, et nous montrent des situations sur lesquelles nous n’avons pas prise. Kamil nous met en garde contre ces visions, aussi dangereuses que l’ébriété. Pour les contrer, il faut raffermir le cœur avec des choses simples » (p.50).
« L’ambiance a changé depuis que nous sommes arrivés sur la cime. Les gens se confient plus volontiers sur des sujets qu’ils n’osaient pas aborder jusque-là. C’est étrange de constater qu’au moment où le froid gagne, l’homme cherche refuge en son âme » (p.145-146).
Kamil, le commandant, le guide – tout a sa part d’ombre – se retire dans sa tente lorsqu’il est dévoré par le doute mais ne montre jamais que le bon versant des choses : il faut aller au bout – du chemin, de soi-même –, délivrer le maximum de personnes en faisant dérailler les derniers trains de la mort.
Et parmi cette population, dans ce groupe soudé par le même espoir de revenir, de retrouver, troisextérieurs bien différents : Victor, le non Juif, l’Ukrainien révolté, indigné par la cruauté des nazis, le Docteur Krinitzki, enlevé par le groupe pour soigner les blessés qui avoue ne pas aimer les Juifs et s’échappera pendant le combat, et le jeune officier nazi, retrouvé blessé qui, jusqu’à la fin et dans son délire avouera ne pas regretter ses actes : « Et tu n’as pas craint de tuer des femmes et des enfants ?
– C’étaient les ordres » (p.228).
Trois figures, trois postures adoptées face à une réalité impitoyable… Et une réflexion sur la possibilité de rester humain devant l’incroyable, la cruauté extrême, sur l’abnégation, le souci de l’autre, l’idée de reconnaissance avant celle de renaissance.
Anne Morin
Lire l'article de Léon-Marc Levy :
http://www.lacauselitteraire.fr/les-partisans-aharon-appelfeld
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