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Les Partisans, Aharon Appelfeld

Ecrit par Léon-Marc Levy 28.05.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, L'Olivier (Seuil), Israël, Roman

Les Partisans, mai 2015, traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti, 319 pages, 22 €

Ecrivain(s): Aharon Appelfeld Edition: L'Olivier (Seuil)

Les Partisans, Aharon Appelfeld

Aharon Appelfeld continue sa quête – celle de « le garçon qui voulait dormir ». Sa quête de l’âme juive. Pour être plus exact, celle de l’âme juive qui naît après l’anéantissement du Ghetto de Varsovie, après que la raison des survivants eut accepté que le cauchemar vécu était bien la réalité et non pas, ni un mauvais rêve, ni un épisode affreux de l’Histoire qui ne pouvait pas aller au bout de son programme meurtrier. Dans l’entre-deux, dans l’espace qui sépare les chambres à gaz et la naissance future et encore improbable de la naissance de l’Etat d’Israël.

C’est là le chemin original d’Appelfeld, celui qui explore une genèse, l’éclosion d’un homme juif nouveau. Dévasté par les pogroms subis, par les expulsions des Nations, par le statut de « dhimmi » ou de « untermeschen », par l’extermination enfin, l’homme juif se relève lentement, douloureusement. Groggy et dévoré par les images vécues, écrasé par la culpabilité d’avoir survécu, terrassé par le souvenir des êtres aimés massacrés, le Juif se relève néanmoins. Et – c’est là ce qui intéresse Appelfeld – il se relève armé, prêt à combattre, décidé à ne plus jamais mettre un genou à terre devant qui que ce soit. Les oripeaux du ghetto ou du camp d’extermination laissent la place au fusil mitrailleur et à la tenue de partisans. Blessés, épuisés, mais d’une détermination sans faille, la couleur étant annoncée dès les premières lignes du roman : « Nous tiendrons jusqu’au bout ».

Le jeune narrateur, rescapé du Ghetto, raconte l’épopée du groupe. Cachés dans une forêt montagnarde, sombre et glacée, les partisans juifs harcèlent les troupes allemandes, allant jusqu’à faire dérailler des trains qui transportent des Juifs vers les camps de la mort. Appelfeld s’applique à nous faire vivre essentiellement le groupe, ses personnages forts et fragiles, les relations interpersonnelles, la présence obsédante du souvenir de ceux et celles qui sont restés à jamais sous les balles des allemands ou dans la fumée des crématoires. Les métaphores traversent le récit : celle des lointains ancêtres hébreux ou – comme dans une sorte de « flash-forward » – celle des kibboutznicks à venir. Ainsi Kamil, chef du groupe, prend-il les traits du Moïse biblique – comment ne pas voir ici la sculpture de Michel-Ange et son Moïse flamboyant :

« C’est effrayant d’être au côté de Kamil lorsqu’il clame notre mission dans ce monde. Ses yeux lancent des éclairs, son corps se déploie, il ressemble alors à un géant issu des générations qui nous ont précédés ».

Ils apprennent à se battre, ils apprennent l’art de la guerre, ils apprennent le courage indomptable. Mais aucun ne quitte les sources de sagesse du judaïsme. Les discussions philosophiques vont bon train le soir à la veillée et la tradition en est souvent au cœur :

« Les chemins de la Torah empruntent la douceur. Celui qui prend soin des veuves, des enfants et des vieillards, applique tous les commandements de la Torah ».

La route est centrale dans le récit d’Aharon Appelfeld qui mène au futur rêve national, à la Terre Promise. L’élan sioniste gronde en chacun, en chacune. On assiste tout au long du récit à la naissance du pionnier à venir. Kamil le dit :

« Nous ne combattons pas uniquement pour survivre ! Si nous ne sortons pas de ces forêts en étant totalement juifs, cela signifiera que nous n’avons rien appris ».

Métamorphose qui implique – nous l’avons dit – les apprentissages guerriers mais aussi, surtout, les apprentissages fondamentaux qui tisseront la naissance d’une Nation : le rapport à une tradition qui doit jeter des ponts par-dessus des siècles de honte de soi, de peur, de misère, de fuites incessantes, d’évitement de la confrontation, de dérobade. Dans ces fondements, l’un occupe toujours une place centrale chez Appelfeld, dans toute son œuvre : la Langue Hébraïque, outil qui sera le ciment des Juifs perdus issus des Nations quand ils arriveront au seuil d’Israël.

« On ne peut pas être juif sans posséder le première langue juive, dans laquelle tous les trésors spirituels antiques sont nichés. Chaque mot que nous apprendrons nous vivifiera ».

Roman passionnant, douloureux, constamment submergé par les vagues du malheur qui frappe un peuple martyrisé, Les Partisans est néanmoins un grand roman d’espoir. Il chante la croyance en l’homme, en sa capacité à renaître de ses cendres au sens réel du terme hélas. Le Juif ici est métaphore de l’humanité toute entière : on ne peut abattre les forces de l’esprit.

Un échange entre le narrateur et un membre du groupe sonne comme une annonce visionnaire :

« Un jour il m’a demandé si nous vivrons ensemble après la guerre, comme maintenant. Je lui ai répondu que chacun retournerait à sa famille. “Pourquoi ne pourrions-nous pas vivre en communauté comme ici ?” Je ne savais que dire. Je lui ai répondu “On verra bien” ».

Il faut souligner que ce grand roman est servi par le travail exemplaire de la traductrice Valérie Zenatti. Traductrice ? Bien plus que cela ! Plutôt un double français, la complice littéraire d’un des grands écrivains d’aujourd’hui, Aharon Appelfeld.

 

Léon-Marc Levy

 

VL4

 

NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)


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A propos de l'écrivain

Aharon Appelfeld

Aharon Appelfeld, en hébreu אהרן אפלפלד, né le 16 février 1932 à Jadova, près de Czernowitz, Roumanie est un romancier et poète israélien.

Il est considéré comme le plus grand écrivain israélien de langue hébraïque de la fin du XXe siècle. Il se définit lui-même « comme un Juif qui écrit en Israël ».

Il a reçu de nombreux prix littéraires, dont le Prix Médicis étranger en 2004, et le Prix Israël.

A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /