Identification

Les doutes d’Avraham, Dror Mishani

Ecrit par Léon-Marc Levy 20.10.16 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Israël, Polars, Roman, Seuil

Les doutes d’Avraham, octobre 2016, 274 pages, 20 €

Ecrivain(s): Dror Mishani Edition: Seuil

Les doutes d’Avraham, Dror Mishani

 

 

Dror Mishani nous a concocté des retrouvailles attachantes avec l’inspecteur Avraham*, promu chef de la section des homicides de Holon, dans la banlieue sud de Tel-Aviv. Cette promotion n’est d’ailleurs pas le seul changement dans la vie du policier. Son amie Marianka, rencontrée lors de sa précédente enquête en Belgique, l’a rejoint en Israël et vit avec lui. Deux bouleversements qu’Avraham éprouve bien du mal à digérer.

Tout d’abord sa promotion. Voici qu’un meurtre survient – une veuve sexagénaire étranglée dans son appartement. Du classique pour Avraham sauf que, cette fois, il est responsable statutairement de l’enquête et que cela le jette dans une anxiété profonde. Sera-t-il à la hauteur ? Surtout, saura-t-il manager ses subordonné(e)s ? L’ombre de sa supérieure, Ilana Liss – absente pour soigner un cancer – l’obsède et la tentation de l’appeler pour lui demander conseil sera constante.

Et puis sa nouvelle situation privée. Marianka n’a pas (encore) de travail, elle essaie de s’adapter à ce nouveau pays, si étrange, si particulier. Pour changer un peu, Avraham est inquiet de ce qu’elle pense, de ce qu’elle sent, de ce qu’elle vit. Inquiétude qui va atteindre un sommet quand les parents de Marianka viendront de Bruxelles leur rendre visite. Leur séjour se passera très mal, dans l’hostilité réciproque du père et d’Avraham. Dror Mishani dit, grâce à cette séquence, à quel point Israël est un pays incompréhensible pour ceux qui ne le connaissent pas, a fortiori pour des gens issus de la grande bourgeoisie européenne. La visite de courtoisie faite aux parents d’Avraham est, à ce titre, un morceau d’anthologie :

« Mais l’expression de dégoût qui se peignit sur le visage du couple pendant qu’ils mangeaient, Avraham espéra que son père ne l’avait pas remarqué. Aux questions que leur posa sa mère dans un très mauvais anglais – sur la Slovaquie, leur intégration en Belgique, la musique classique et les principes de la foi chrétienne –, ils répondirent comme s’ils s’adressaient à des enfants ».

La force de Dror Mishani est de déjouer sans cesse les canons du roman policier. Il s’intéresse plus aux personnages qu’à l’intrigue elle-même, il fouille dans la vie privée des victimes, des coupables, des flics chargés de l’enquête. Il entre dans le quotidien des familles, des couples, brossant ainsi un tableau vivant de la petite bourgeoisie israélienne, avec, en basse continue, les grondements d’une guerre qui n’en finit pas.

« Comme presque tous les vendredis depuis le début de l’hiver, on jetait des pierres dans les quartiers arabes de Jérusalem, si bien que des policiers du secteur Ayalon étaient envoyés là-bas en renfort pour éviter les débordements à la sortie des mosquées ».

Mais c’est aussi un Israël vivant et joyeux qui déferle parfois au milieu de la noirceur.

« En arrivant à Jaffa, il se rendit compte que la plupart des rues du centre-ville étaient barrées à cause du carnaval de Pourim. […] Il se retrouve coincé plus d’un quart d’heure dans la rue Sokolov à attendre que passent les chars sur lesquels étaient installés des clowns, des princesses et des soldats ».

Dror Mishani joue de ces contrastes – « chars » dans son ambiguïté sémantique, Princesses et soldats dans leur collision – pour nous dire un peu d’Israël d’ombre et de lumière.

Avec Mishani, Israël tient son grand du roman noir.

 

Léon-Marc Levy

* Lire la critique de Une disparition inquiétante : http://www.lacauselitteraire.fr/une-disparition-inquietante-dror-mishani-2

 

VL2

 

NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)

 

  • Vu : 4260

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Dror Mishani

 

Dror Mishani est un universitaire israélien. Il est spécialisé dans l’histoire du roman policier. Il est aussi critique littéraire et éditeur. Disparition inquiétante est le premier titre d’une série d’enquêtes menées par le commandant Avraham Avraham, surnommé Avi par ses collègues.

 

A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

Lire tous les articles de Léon-Marc Levy


Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /