Les doutes d’Avraham, Dror Mishani
Les doutes d’Avraham, octobre 2016, 274 pages, 20 €
Ecrivain(s): Dror Mishani Edition: Seuil
Dror Mishani nous a concocté des retrouvailles attachantes avec l’inspecteur Avraham*, promu chef de la section des homicides de Holon, dans la banlieue sud de Tel-Aviv. Cette promotion n’est d’ailleurs pas le seul changement dans la vie du policier. Son amie Marianka, rencontrée lors de sa précédente enquête en Belgique, l’a rejoint en Israël et vit avec lui. Deux bouleversements qu’Avraham éprouve bien du mal à digérer.
Tout d’abord sa promotion. Voici qu’un meurtre survient – une veuve sexagénaire étranglée dans son appartement. Du classique pour Avraham sauf que, cette fois, il est responsable statutairement de l’enquête et que cela le jette dans une anxiété profonde. Sera-t-il à la hauteur ? Surtout, saura-t-il manager ses subordonné(e)s ? L’ombre de sa supérieure, Ilana Liss – absente pour soigner un cancer – l’obsède et la tentation de l’appeler pour lui demander conseil sera constante.
Et puis sa nouvelle situation privée. Marianka n’a pas (encore) de travail, elle essaie de s’adapter à ce nouveau pays, si étrange, si particulier. Pour changer un peu, Avraham est inquiet de ce qu’elle pense, de ce qu’elle sent, de ce qu’elle vit. Inquiétude qui va atteindre un sommet quand les parents de Marianka viendront de Bruxelles leur rendre visite. Leur séjour se passera très mal, dans l’hostilité réciproque du père et d’Avraham. Dror Mishani dit, grâce à cette séquence, à quel point Israël est un pays incompréhensible pour ceux qui ne le connaissent pas, a fortiori pour des gens issus de la grande bourgeoisie européenne. La visite de courtoisie faite aux parents d’Avraham est, à ce titre, un morceau d’anthologie :
« Mais l’expression de dégoût qui se peignit sur le visage du couple pendant qu’ils mangeaient, Avraham espéra que son père ne l’avait pas remarqué. Aux questions que leur posa sa mère dans un très mauvais anglais – sur la Slovaquie, leur intégration en Belgique, la musique classique et les principes de la foi chrétienne –, ils répondirent comme s’ils s’adressaient à des enfants ».
La force de Dror Mishani est de déjouer sans cesse les canons du roman policier. Il s’intéresse plus aux personnages qu’à l’intrigue elle-même, il fouille dans la vie privée des victimes, des coupables, des flics chargés de l’enquête. Il entre dans le quotidien des familles, des couples, brossant ainsi un tableau vivant de la petite bourgeoisie israélienne, avec, en basse continue, les grondements d’une guerre qui n’en finit pas.
« Comme presque tous les vendredis depuis le début de l’hiver, on jetait des pierres dans les quartiers arabes de Jérusalem, si bien que des policiers du secteur Ayalon étaient envoyés là-bas en renfort pour éviter les débordements à la sortie des mosquées ».
Mais c’est aussi un Israël vivant et joyeux qui déferle parfois au milieu de la noirceur.
« En arrivant à Jaffa, il se rendit compte que la plupart des rues du centre-ville étaient barrées à cause du carnaval de Pourim. […] Il se retrouve coincé plus d’un quart d’heure dans la rue Sokolov à attendre que passent les chars sur lesquels étaient installés des clowns, des princesses et des soldats ».
Dror Mishani joue de ces contrastes – « chars » dans son ambiguïté sémantique, Princesses et soldats dans leur collision – pour nous dire un peu d’Israël d’ombre et de lumière.
Avec Mishani, Israël tient son grand du roman noir.
Léon-Marc Levy
* Lire la critique de Une disparition inquiétante : http://www.lacauselitteraire.fr/une-disparition-inquietante-dror-mishani-2
VL2
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