Une disparition inquiétante, Dror Mishani (par Léon-Marc Levy)
Une disparition inquiétante, trad. de l’hébreu par Laurence Sendrowicz, 336 pages, 21 €
Ecrivain(s): Dror Mishani Edition: SeuilAvraham Avraham est sans doute le frère littéraire de Meyer Meyer – l’un des héros du 37ème district d’Isola dans les romans d’Ed McBain. Comme lui, il est Juif. Comme lui ses parents ont trouvé drôle de le prénommer en l’affublant de son nom de famille. Comme lui, il est flic, introverti, plutôt timide et discret. Comme lui il admire sa cheffe (Pour Meyer c’était son chef, Steve Carella).
Pourtant, le cadre de ce roman, le talent époustouflant de Mishani, la narration fascinante, nous mènent vite au-delà d’une lecture de divertissement. C’est un grand roman policier, haletant, surprenant jusqu’au bout, qui nous tient incrédules dans ses rebondissements, ses contrepieds, son stupéfiant dénouement.
Tel Aviv. Enfin sa banlieue de Holon. Plutôt triste, ennuyeuse, faite de cités populaires. Le commissariat est à l’image du quartier : pas de quoi faire rêver de carrière pour un flic. Et Avraham Avraham ne rêve pas. Il fait son boulot, avec application, honnêteté, humanité. C’est un bon flic. Mais dans cette enquête, il se trompe. Pas un peu : il se trompe de la première page à la dernière, sans exception ! Ça n’enlève rien à ses qualités, ni à la sympathie qu’il provoque chez les gens, ses collègues. Chez nous, lecteurs. « Un homme compétent est un homme qui se trompe selon les règles » écrivait Paul Valéry (Mauvaises pensées et autres). Avraham Avraham est, à n’en pas douter, un homme compétent.
Une mère est venue le trouver pour lui signaler la disparition de son fils, qui n’est pas rentré du lycée en début d’après-midi comme il aurait dû. Disparition inquiétante, enquête, on ne peut faire plus classique en roman policier.
Et pourtant, Mishani nous attend malicieusement, prêt à nous faire sursauter, dynamitant nos certitudes avec une délectation lisible, déconstruisant en quelque sorte le modèle du roman policier. Et c’est un régal, de bout en bout. On vous le dit ici : jusqu’au bout du bout, jusqu’à la dernière page : nous ne pousserons pas le spoiling au-delà !
Il est évident que ce roman est un exercice de style, un moment de virtuosité pure de la part d’un auteur dont le métier est la littérature policière. Dror Mishani est en effet un professionnel de la chose : il enseigne l’histoire du roman policier à l’université, il en édite, il en écrit. C’est en virtuose qu’il déploie ici tous les syntagmes du genre pour mieux les questionner et les contourner. La base narrative de ce roman est volontairement marquée au sceau du cliché, afin de mieux en extraire une série de surprises totales.
Comme pour mieux marquer la présence personnelle de son regard dans ce roman, Dror Mishani va jusqu’à se créer une sorte de double : le voisin des Sharabi, famille du garçon disparu. Zeev Avni, professeur et écrivain en gestation, sera un acteur décisif de l’affaire par son écriture même. On ne peut mieux faire en termes de double littéraire.
Le talent de Mishani est éclatant, car le savoir-faire du spécialiste de littérature policière est largement dépassé par la pure créativité, la mise en cause des codes du genre, et le style, fluide et captivant.
Un beau livre noir qui nous vient d’Israël.
Léon-Marc Levy
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