Le Diable et Sherlock Holmes, David Grann (par Léon-Marc Levy)
Le Diable et Sherlock Holmes, Editions du Sous-Sol, mars 2019, nouvelles traduites de l’américain, 452 pages, 23 €
Ecrivain(s): David Grann Edition: Editions du Sous-Sol
Autant le dire d’emblée, ce volume de novellas de David Grann n’a que très peu de rapports avec le pensionnaire du 221b Baker Street à Londres. Certes, la première histoire – qui nous place au cœur des descendants et des fanatiques du détective – raconte la quête aventureuse des documents précieux de Sir Arthur Conan-Doyle. On peut aussi dire qu’une autre nouvelle, Un crime parfait, évoque de loin les énigmes que Sherlock avait à résoudre et ses méthodes d’enquête. Mais pour tout le reste, c’est-à-dire l’essentiel, le lien avec Sherlock Holmes nous a échappé. Par contre, nous avons du pur David Grann, et c’est déjà formidable.
Grann est un cas très particulier dans ce qu’il faut bien appeler la littérature. C’est qu’il n’en fait pas. Si l’on estime que l’acte littéraire est création, fiction, alors les histoires qui sont racontées ici – et plus généralement dans tous les livres de David Grann – ne sont pas littérature car elles sont vraies et rapportées telles qu’elles ont eu lieu, jusqu’au moindre détail. Aucune part à la fiction, rien à voir avec l’exofiction par exemple qui prend des faits réels pour les romancer, les remodeler au gré de l’auteur.
Autant l’exofiction est un genre agaçant – quelques chefs d’œuvre comme De Sang-Froid de Truman Capote et beaucoup de romans paresseux et mous comme la série des « grands prix littéraires » de 2017 – autant le genre dans lequel David Grann s’illustre est passionnant. C’est du journalisme d’investigation poussé jusqu’à ses extrêmes limites, la déconstruction méticuleuse de faits divers plus ou moins célèbres, l’autopsie de crimes ou de délits qui ont en leur temps passionné l’opinion.
David Grann fonde son travail sur une conviction ainsi énoncée par le héros de Baker Street : « La vie est infiniment plus étrange que tout ce que l’esprit humain pourrait inventer ». Assertion qui mériterait un vrai débat philosophique – qu’est-ce que « la vie » ? Qu’est-ce que « l’étrange » ? Qu’est-ce que « l’esprit humain » ? – mais qui, pour le moins, mérite qu’on y fonde un genre littéraire.
A l’exception de la troisième novella (Le Caméléon, les vies multiples de Frédéric Bourdin), déjà publiée aux éditions Allia et chroniquée dans notre revue (cliquez sur le lien pour y accéder), toutes les histoires ici racontées (onze) sont inédites. Le lien qui les unit est le caractère énigmatique de l’affaire et la démarche d’enquête qu’a impliquée sa résolution. Fil ténu, parfois lointain, parfois contestable. Par contre, la diversité des affaires rapportées est intéressante. Du « Crime parfait » à la « Chasse au Calmar » (!!), des histoires incroyables et pourtant vraies.
Quel est l’objet caché ?
Dans « la chasse au calmar » déjà cité, il s’agit du très célèbre calmar géant dont la littérature s’est largement repue (Jules Verne, Victor Hugo et combien d’autres). On sait qu’il existe mais nul n’a jamais pu en capturer un vivant. Tous les sujets que possèdent les naturalistes sont des cadavres. Grann nous conte alors l’histoire passionnante d’un homme qui a consacré sa vie à la recherche de l’animal fabuleux et réel.
Dans « un crime parfait », on suit les traces d’un assassin (en Pologne) qui a écrit un livre et qui semble s’inspirer mot à mot de sa fiction pour accomplir son forfait. Nouvelle parfaite pour David Grann puisque sur la crête de son pari : faire se chevaucher les faits réels et la fiction littéraire.
Douze nouvelles, surprenantes, parfois délicieuses, écrites avec la sérénité habituelle de Grann qui jamais ne cherche un effet d’esbrouffe, et traduites par une belle équipe.
Un divertissement intelligent.
Léon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
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