Le complexe d’Eden Bellwether, Benjamin Wood (2ème article)
Le complexe d’Eden Bellwether (The Bellwether Revivals, 2012), septembre 2014 traduit de l’anglais par Renaud Morin, 512 pages, 23,50 €
Ecrivain(s): Benjamin Wood Edition: Zulma
Music in Cambridge…
Premier roman de Benjamin Wood, The Bellwether Revivals/Le Complexe d’Eden Bellwether nous arrive en France grâce aux éditions Zulma qui nous offrent cette belle découverte. L’auteur, né en 1981 en Angleterre, a mené des études littéraires au Canada où il a aussi été éditeur. Aujourd’hui, enseignant à l’Université de Londres, c’est en 2012 qu’il publie ce premier roman qui nous emmène dans l’univers assez fermé des collèges de Cambridge, un univers élitiste, ou plutôt un univers où les enfants de l’élite sociale sont aussi convaincus qu’ils constituent une élite culturelle et intellectuelle qui vit en marge, et plutôt au-dessus, du monde ordinaire.
Oscar, lui, vient de ce monde ordinaire. Un monde où les ambitions peuvent, ou savent, être modestes. Pour Oscar, se faire sa place dans le monde ne passe pas par des études brillantes au sein des prestigieuses institutions d’Oxbridge (Oxford+Cambridge) mais par le travail et l’autonomie qu’il peut procurer, aussi modeste soit-elle.
Oscar est simplement aide-soignant dans une maison de retraite. Un univers qui lui plaît et où il a un ami, le vieux Dr Paulsen, d’un caractère que la plupart trouvent impossible mais qui a pris Oscar en affection et en estime et sursoit à son éducation par les livres qu’il a avec lui, qu’il lui prête et lui conseille (un seul à la fois).
Irrésistiblement attiré par la musique d’orgue qui s’y joue, Oscar va pénétrer l’une des plus prestigieuses institutions de Cambridge, le King’s College et y faire connaissance d’Iris et Eden Bellwether. Il intégrera petit à petit le cercle très sélect de leurs amis. Bientôt amoureux d’Iris, il est aussi fasciné par le talent du frère, Eden, même s’il est présomptueux, arrogant, voire méprisant et manipulateur. Si sa sœur admire son frère, comme tout son entourage, elle le considère aussi comme un malade qui pourrait devenir dangereux, pour lui-même ou pour d’autres. De là, un étrange pacte va naître entre Iris et Oscar.
Nous voilà entraînés dans un labyrinthe où le génie flirte incestueusement avec la perversion, avec l’exaltation baroque d’un altruisme dangereusement et désespérément narcissique. La peur des convenances trahies, les volontés de pouvoir et de reconnaissance, les mémoires enfouies, les jeux de l’amour qui ne peut se dire, la méfiance et l’estime, l’ombre assumée de la maladie et de la mort, seront autant de forces qui vont occuper la scène, tirant les fils des marionnettes qui se disputent le savoir et la maîtrise des destinées. La figure de Johann Mattheson (1681-1764), musicien prodige du XVIIIe siècle allemand, à la fois ami et rival de Haendel, chanteur, virtuose de l’orgue et théoricien de première importance pour son époque, va alimenter le discours passionné et pédant d’Eden, mais aussi autoriser ses expériences les plus audacieuses, les plus folles et les plus dangereuses. Sous le vernis des virtuosités intellectuelles et de la meilleure des éducations, derrière les murs majestueux et dans les jardins si harmonieux et apaisants du domaine familial des Bellwether, le désordre menace et il suffirait d’un rien pour que tout s’effondre. Le monde feutré et parfois brutal, mais toujours si civilisé des « oxbridgiens » pourra-t-il être préservé ? Lesquels seront sauvés ? Lesquels se perdront ? L’auteur nous perd et nous emporte inexorablement vers le dénouement et la chute, aussi incompréhensibles que prévisibles, que redoutés.
Ce que l’on devine du style de l’auteur au prisme de la traduction nous laisse voir et sentir le cruel « understatement », le climat et les atmosphères de ce monde que nous découvrons en compagnie d’Oscar. Loin de l’humour et des espiègleries littéraires de Jeeves et de son créateur P.G. Wodehouse, il y a dans ce monde une dureté et une folie qui inquiètent bien plus qu’elles ne font sourire. Un monde parfois étrange, qui peut paraître au lecteur à la fois étranger – engoncé dans ses certitudes et ses modèles culturels – et familier – par la folie et les tensions silencieuses qui l’habitent.
Nous ne serions pas surpris qu’un cinéaste se saisisse de cette œuvre pour l’adapter à l’écran. La construction dramaturgique, la progression, les lieux qu’elle hante, semblent en effet s’y prêter. D’ici là, nous tenons déjà une œuvre qui se suffit à elle-même. Une œuvre à lire et relire et dont le souvenir ne s’effacera a priori pas si facilement (le titre original le suggère déjà !).
Le deuxième roman de Benjamin Wood est annoncé au Royaume Uni pour juillet 2015, chez le même éditeur que The Bellwether Revivals, Simon & Schuster. Son titre est déjà connu : The Ecliptic (voir sur le site de l’auteur). Nous le guetterons avec une certaine impatience.
Marc Ossorguine
Lire l'article de Cathy Garcia
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