Identification

La Une Livres

Ordesa, Manuel Vilas (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 23 Août 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Espagne, La rentrée littéraire

Ordesa, Editions du sous-sol, août 2019, trad. espagnol Isabelle Gugnon, 400 pages, 23 € . Ecrivain(s): Manuel Vilas

 

« Le passé est la vie déjà livrée au saint office de l’obscurité. Le passé ne part jamais, il peut toujours reparaître. Il revient, revient sans cesse. Le passé est porteur de joie. Le passé est un ouragan. Il représente tout dans l’existence des gens. Le passé est aussi porteur d’amour. Vivre obsédé par le passé ne nous permet pas de profiter du présent, et pourtant profiter du présent sans que le poids du passé chargé de désolation fasse irruption dans ce présent n’est pas un plaisir mais une aliénation. Il n’y a pas d’aliénation dans le passé ».

Ordesa est le troublant journal radical d’un espagnol d’aujourd’hui, d’un écrivain qui porte tout le passé de l’Espagne, et offre son présent turbulent. Il ne fait pas de cadeau à son époque, à son pays, à son passé, à ses contemporains et à lui-même, mais avec la manière. Pas un mot plus haut que l’autre, pas une phrase qui ne déroge aux belles règles du style, son humeur vagabonde, mais elle reste classique. Manuel Vilas a la politesse de bien écrire, et de bien rire des situations parfois ridicules où il s’aventure. Ordesa est le roman d’une vie, celui d’un enfant du siècle né durant une dictature, qui a connu la transition démocratique, Juan Carlos et son fils Felipe VI, et qui ne cesse de se souvenir de ses parents et de l’odeur des cigarettes qu’ils fumaient, comme si la crémation n’était pas autre chose qu’une dernière cigarette fumée jusqu’au filtre.

Quinze causeries en Chine, Aventure poétique et échanges littéraires, J. M. G. Le Clézio (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Vendredi, 23 Août 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Gallimard

Quinze causeries en Chine, Aventure poétique et échanges littéraires, mai 2019, 208 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): J-M G. Le Clézio Edition: Gallimard

Ces quinze causeries sur la littérature ont été données par J. M. G. Le Clézio d’août 2011 à octobre 2017, tout autour de la Chine, à l’initiative de l’écrivain Xu Jun, professeur à l’université de Nankin et traducteur de son œuvre. L’Avant-propos de l’auteur chinois retrace l’historique de la relation des deux hommes depuis la parution du Procès-Verbal en 1963 (prix Renaudot), écrit par un jeune auteur de 23 ans qui allait recevoir en 2008 le Prix Nobel pour l’ensemble de son œuvre. Retour de civilités amicales et institutionnelles, à cet Avant-propos répond un Final de Le Clézio intitulé « A Xu Jun, l’ami exemplaire ».

Les lieux où sont prononcés les discours forment dès l’abord du texte un véritable périple à la fois poétique et académique dans l’immense Empire du Milieu : Au salon du livre de Shanghai, A l’université de Nankin, de Yangzhou, du Heilongjiang, A l’université des études internationales du Guangdong, A l’occasion du 20e anniversaire de la revue Grands Maîtres, dans la ville de Lijiang, A l’université normale de Pékin (discussion animée par Mo Yan), Au Forum Boya sur la littérature à l’université de Pékin, A Wuhan, A l’université des sciences et technologies de la Chine centrale, A l’occasion de la fête des Ecrivains du fleuve Yangzi au Jiangsu, et enfin A l’occasion de la fête littéraire Dayi à Xi’an.

Le cœur est une place forte, Marie Hélène Prouteau

, le Vendredi, 23 Août 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits

Le cœur est une place forte, Marie Hélène Prouteau, éditions La Part commune, mars 2019, préface Dominique Sampiero, 148 pages, 14 €

« C’est une histoire de livret perdu, une histoire de revenance ». Au cœur du livre, le livret militaire du grand-père, perdu dans la bataille de Maissin, en 1914, retrouvé 50 ans plus tard dans un grenier en Belgique. Un livret jamais oublié par l’enfant : « elle y a logé son rêve ». Il aimante ici la mémoire et les mots. Relique d’une hécatombe, béance de l’oubli, palimpseste des silences à déchiffrer, veilleur d’Histoire, il instaure un « pacte » entre l’auteure et son grand-père, devient chambre d’échos, résonance des voix qui traversent le temps et les ténèbres. « N’est-il pas de ces choses singulières qui portent plusieurs mondes ? ».

Peu à peu, sous les doigts, le vieux livret s’anime, frémit, soupire, vibre de présences, s’ouvre à d’autres mémoires. Car « écrire, c’est écouter des silences » (Jabès, en exergue). L’auteure se met à l’écoute, avec lucidité, empathie et courage. Elle se met en quête de vérité, elle veut traverser « les couches de silence », questionner l’Histoire. Il lui faut plonger dans les archives, témoignages, historiens, photos sépias, lettres, cartes postales, musées, lieux des combats, mais aussi se laisser pénétrer par la parole des poètes, les œuvres des musiciens, peintres, cinéastes, qui tentent de sublimer l’horreur.

Un monstre et un chaos, Hubert Haddad (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 22 Août 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, La rentrée littéraire, Zulma

Un monstre et un chaos, août 2019, 352 pages, 20 € . Ecrivain(s): Hubert Haddad Edition: Zulma

 

C’est dans un voyage au bout du cauchemar que nous emmène Hubert Haddad dans ce roman. Du Shtetl misérable de Mirlek au Ghetto de Lodz, jamais l’horreur ne lâchera le jeune héros de cette histoire. Il y a eu, bien sûr, d’autres fictions situées dans le même cadre, mais Haddad nous prend au cœur par un parti-pris d’intimité. Il dit non seulement le malheur collectif, mais la redéposition de ce malheur sur un enfant solitaire de douze ans qui doit tout inventer pour survivre. Et c’est sur les traces de cet enfant à qui on a tout pris – famille, frère jumeau, maison, table où se nourrir et jusqu’à l’identité – que nous traversons les ruelles et rues dévastées de Lodz en son Ghetto, les lieux où l’humanité (peut-on encore l’appeler ainsi ?) a atteint l’extrême limite de l’Enfer sur terre, les lieux où s’écrivent les traces indélébiles de la sauvagerie des hommes envers des hommes, les lieux enfin qui resteront à jamais inscrits dans la mémoire des êtres de conscience.

Athos le forestier, Maria Stefanopoulou (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Jeudi, 22 Août 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Bassin méditerranéen, Roman, La rentrée littéraire, Cambourakis

Athos le forestier, août 2019, trad. grec René Bouchet, 224 pages, 22 € . Ecrivain(s): Maria Stefanopoulou Edition: Cambourakis

 

La littérature, dit-on, aide à comprendre le passé d’un pays, son histoire, ses drames lointains ou rapprochés. Ce présupposé est largement confirmé par le magnifique récit de Maria Stefanopoulou, qui signe à cette occasion son premier roman, même si cette auteure a déjà produit des nouvelles et essais sur la critique et la violence.

C’est un roman choral, qui expose successivement les points de vue des différents personnages : Athos, qui est forestier dans le Péloponnèse, se cache dans sa cabane car il passe pour mort, ayant échappé aux représailles de la Wehrmacht du 13 décembre 1943 à Kalavryta. Dans ce village ont été massacrés tous les habitants. Son épouse, Marianthi, et sa fille Margarita quittent la localité.

Près de quarante ans plus tard, Lefki, la fille de Margarita, s’installe à Kalavryta pour y créer une Clinique de la douleur car Lefki est médecin. Iokasti, fille de Lefki, représente la quatrième génération après la seconde Guerre mondiale : elle veut résoudre le mystère d’Athos, et se lance dans la forêt à la recherche de son grand-père Athos.