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La Une CED

Les travaux et les jours (extraits 12) (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Lundi, 21 Septembre 2020. , dans La Une CED, Ecriture, Bonnes feuilles

La mère

Fascinant et angoissant envahissement des choses dans l’espace étroit de la maison. Combien de fois, un objet quelconque à la main, décidée à la ranger, le donner, le jeter, elle l’abandonne sur place, saisie à le contempler d’une brisante indécision quant à sa place, son usage ou manque d’usage, projetée par une pénible anticipation vers le moment incertain où, peut-être, l’objet pourrait être requis, souhaité, regretté. Ça peut toujours servir, susurre la mémoire atavique des temps de pénurie, jetant des ombres grotesques sur les parois des cavernes modernes envahies de bidules.

 

Le fils

D’un passage chez le fleuriste, afin d’honorer d’un bouquet une visite dominicale chez des parents éloignés, il rapporte un minuscule cactus, une boule de piquants, large comme deux de ses doigts, qu’il tient délicatement à deux mains posée sur ses genoux, assis muet comme une carpe sur le canapé de leurs hôtes, jetant de temps à autre un coup d’œil par-dessus le rebord du cornet de papier qui protège la plante comme pour s’assurer de sa présence.

Ombres de l’Inde – Histoire incertaine (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 18 Septembre 2020. , dans La Une CED, Ecriture, Récits

 

En relisant les Carnets du grand chemin. – Il m’arrive de m’interroger sur ce que pouvait être l’Inde avant la période coloniale et même avant les brutales razzias islamiques. Quels étaient ses paysages, les rapports de ses habitants à leur terre, à leur village, à leurs champs, à leurs forêts ? A quoi ressemblaient les cités dont nous visitons les ruines, comme Vijayanagar (Hampi aujourd’hui) dans le Karnataka, rasée au seizième siècle par les conquérants musulmans, sa population massacrée ou forcée à la conversion, ses temples, ses palais, ses bibliothèques, ses salons de musique détruits et sa rivière rougie de sang humain ? Selon quelles normes fonctionnaient-elles ? Qu’étaient l’espace, le temps surtout ? Qu’y avait-il dans la conscience d’un garçon de vingt ou vingt-cinq ans, guère différent dans son apparence, je le suppose, de ceux que j’ai aimés ? Comment s’éveillaient ses désirs et, s’il convoitait ses pareils, comment cette attirance était-elle par lui et par ses camarades ressentie ? Qui croisait-on sur les routes ? Quels étaient leurs dangers, leurs surprises, leurs bonheurs ? Où se portaient spontanément les yeux ? Comment s’habillait-on, s’accommodait-on de son corps ?

Marcel Proust, Croquis d’une épopée, Jean-Yves Tadié (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Jeudi, 17 Septembre 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Marcel Proust, Croquis d’une épopée, Jean-Yves Tadié, Gallimard, novembre 2019, 384 pages, 22 €

Pourquoi ce titre, qui peut paraître étrange de prime abord, pour un ouvrage rassemblant dix ans de critique proustienne, éveillée par le hasard des commandes ou des envies ? « Un précurseur méconnu de la manière moderne d’écrire l’histoire », G. Lenotre (Théodore Gosselin), publia le premier volume de son cycle de douze volumes, « La Petite Histoire », sous le titre de : Napoléon, Croquis de l’épopée. Ce fut la « passion de mon enfance », confie Jean-Yves Tadié, avant d’ajouter : « C’est ce que je propose ici, au sujet de Proust, parce que l’écriture de La Recherche et le livre lui-même en furent bien une : des croquis de l’épopée ».

Il y a de très belles pages sur le rapport qu’entretint Proust avec la musique, Tadié évoquant notamment les différents modèles de la sonate de Vinteuil. Ce rapport était amoureux. Il faut par exemple se représenter l’auteur de Jean Santeuil, les yeux fermés, écoutant (cela se produira à plusieurs reprises), penché, au théâtrophone (« ce téléphone branché sur la scène des théâtres »), Pelléas et Mélisande. « La musique, pour le romancier, écrit joliment Tadié, réveille en nous le fond mystérieux de notre âme, inexprimable par les mots. S’adressant à l’inconscient, elle remonte à la patrie perdue de l’enfance, en retrouvant le temps de la communication antérieure au langage : elle parle comme l’amour le plus pur et comme le bonheur ».

Musique et clinique : le neveu mélomane de Diderot à Bernhard (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Mercredi, 16 Septembre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques


« On était en juin, les fenêtres du pavillon étaient ouvertes, et, à partir d’un schéma rythmique finalement orchestré avec un vrai génie contrapunctique, les patients toussaient par les fenêtres ouvertes dans le soir qui tombait »

(Thomas Bernhard, Le Neveu de Wittgenstein)


Deux œuvres suffiraient presque à élaborer une généalogie croisée de la folie et de la musique. Le Neveu de Rameau de Diderot d’une part, Le neveu de Wittgenstein de Thomas Bernhard de l’autre. Deux neveux mélomanes, c’est-à-dire deux fruits de l’union plus ou moins légitime entre Mélos et Mania, entre la mélodie et la folie.

À propos de la Kâli décapitée de Marguerite Yourcenar (par Bernard Fauren)

Ecrit par Bernard Fauren , le Mardi, 15 Septembre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques


La nouvelle de Marguerite Yourcenar, Kâli décapitée, a été publiée en 1928 dans La Revue Européenne, puis publiée dans le recueil des Nouvelles orientales chez Gallimard en 1938. À l’occasion d’une édition ultérieure, Marguerite Yourcenar a voulu préciser ce qui suit dans un post-scriptum : Cette réimpression des Nouvelles orientales, en dépit de très nombreuses corrections de pur style, les laisse en substance ce qu’elles étaient lorsqu’elles parurent pour la première fois en librairie en 1938. Seule, la conclusion du récit intitulé Kâli décapité a été récrite, afin d’y souligner davantage certaines vues métaphysiques dont cette légende est inséparable, et sans lesquelles, traitée à l’occidentale, elle n’est plus qu’une vague « Inde galante ».