Il n’y a pas d’écriture heureuse, Alain Marc
Il n’y a pas d’écriture heureuse, Le Petit Véhicule, Revue Chiendents n°109, septembre 2016, Cahier d’arts et de littératures, 5 €
Ecrivain(s): Alain Marc
Ce numéro de la précieuse revue Chiendents est consacré à Alain Marc, dont un ouvrage fondamental en deux parties, Chroniques pour une poésie publique, et Mais où est la poésie ? a fait l’objet il y a quelque temps d’une présentation dans La Cause Littéraire.
Alain Marc est pluriellement remarquable. Il possède un talent, une vertu, et un boisseau de capacités :
D’abord il est poète, naturellement, spontanément, foncièrement.
Ensuite il est militant, défenseur acharné d’une poésie qui serait, qui redeviendrait ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : publique.
Enfin il est, simultanément ou successivement, critique, analyste, lecteur attentif, sourcilleux, exigeant, à l’affût de tout ce qui se fait, se dit, s’expose, se publie dans le domaine de la poésie, domaine qu’il appréhende et parcourt en long et en large en faisant montre d’une culture littéraire, théâtrale, événementielle quasiment encyclopédique.
Une grande partie du numéro 109 est faite d’une correspondance et de deux entretiens entre notre poète et Murielle Compère-Demarcy, poétesse, rédactrice à La Cause Littéraire.
Dans la Lettre pour une présentation qui sert de pré-texte à la revue, Alain Marc définit pour sa correspondante son parcours et précise le diptyque qui peut être considéré comme son manifeste.
Deux bornes jalonnent ce parcours, à savoir ce que j’ai appelé « l’écriture du cri » et « la poésie publique », que deux essais balisent : « Ecrire le cri » et « Chroniques pour une poésie publique suivies de Mais où est la poésie ? »
L’auteur y définit ce qui, pour lui, distingue « poésie » et « poème », y évoque sa « pratique du carnet et/ou de l’essai », y rappelle ses activités de critique littéraire, et y révèle qu’il a « plus de 4000 pages réparties en une cinquantaine d’ouvrages toujours inédits, sur lesquels [il] travaille chaque jour ».
Peut-on en espérer de futures publications ?
Suit une longue et foisonnante conversation avec Murielle Compère-Demarcy, au cours de laquelle Alain Marc est invité à préciser sa classification, originale, des poésies en « regards hallucinés », « poésies non hallucinées », poésies « évidences », et ce qu’il appelle « polaroïds pornographiques ».
Le poète répond également, de façon toujours passionnée et passionnante, aux questions de son interlocutrice (tout autant passionnée que lui) quant à son grand combat pour une poésie publique, puis à propos de ce que serait une « poésie expérimentale ». L’entretien abonde en références (Leiris, Proust, Camus, Artaud, Garnier, Sade, Bataille, Maïakovski, et bien d’autres). L’ensemble des questions et réponses rassemble ce qui semblait épars. Il s’en dégage une mise en relation, et une structuration, des multiples activités d’Alain Marc.
« On comprend alors mieux pourquoi je dis qu’aussi bien mes poésies, que mes poèmes, que mes polaroïds pornographiques, que mes essais-par-fragments forment un tout indissociable et cohérent ».
Cette conversation trouve sa suite dans une autre rencontre, transcrite dans la deuxième partie de l’ouvrage, entre Murielle et Alain, portant sur Ecrire le cri. On appréciera ailleurs la Lettre à mon ami sculpteur amoureux de poésie, Bertrand Créac’h, dont on pourra retenir en particulier cette intéressante conclusion, qui incite à réfléchir sur les fonctions respectives, dans l’interprétation ou dans la perception poétique, du poète émetteur et du lecteur-auditeur-récepteur :
« Ma poésie n’est pas poétique : elle le devient (par la surprise qu’elle provoque, et par le flot, dans le cas de poèmes longs) ».
Le dernier texte de la revue, écrit par Alain Marc, a pour titre : La poésie contemporaine est très souvent intellectuelle. Le lecteur qui a parcouru l’ouvrage Chroniques pour une poésie publique suivies de Mais où est la poésie ? y reconnaîtra sous une forme condensée la thématique longuement développée au fil de ces autres pages du poète essayiste.
En insert, au milieu du fascicule, une lettre (un « papier [retrouvé] vieux de plus de 40 ans ») adressée à notre auteur par Bernard Noël, précède une lecture, par Murielle Compère-Demarcy, d’une nouvelle d’Alain Marc intitulée Le Timide et la prostituée :
Ce sont des « visions » (le mot apparaît plusieurs fois), des apparitions réelles ou fantasmées de la solitude que nous lisons ici. D’un homme qui rêve de devenir libre, comme l’écrivain est libre dans sa créativité…
Cette nouvelle, nous apprend l’auteur, est « quasi inédite. Elle a été publiée en ligne sur un très bon site qui proposait des nouvelles à acheter à moins de deux euros mais son plus grand tort a été d’arriver trop tôt, si bien qu’elle a été très peu lue ».
Après avoir lu ce qu’en écrit Murielle, on ne peut, l’eau à la bouche, qu’en appeler aux éditeurs pour une mise en page qui la rende « publique ».
En attendant, ce numéro de Chiendents offre au lecteur curieux de tout ce qui touche au langage en général et à l’expression poétique en particulier de (re)découvrir un poète qui pense la poésie, et qui ne cesse de faire entendre son CRI pour que vive cet art du verbe né avec l’homme et inhérent à la notion même d’humanité.
Qu’on en profite !
Patryck Froissart
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