Chroniques pour une poésie publique, précédé de Mais où est la poésie ?, Alain Marc
Chroniques pour une poésie publique, précédé de Mais où est la poésie ?, Ed. du Zaporogue, septembre 2014, 215 pages
Ecrivain(s): Alain Marc
Mais où est la poésie ?
Tel est le titre de la première partie de cet ouvrage très fouillé, très dense, fourmillant de milliers de références sur la poésie contemporaine.
L’auteur, Alain Marc, ardent militant de la cause poétique, dresse le bilan de sa quête de la poésie dans les espaces dédiés à la littérature, que ce soient des édifices en dur conçus pour en abriter les volumes (librairies, bibliothèques, centres culturels) ou des refuges de papier reliés et édités pour en accueillir des extraits (revues, journaux, magazines), ou encore des vitrines audiovisuelles (radio, télévision) ou virtuelles (sites, blogs).
Le constat est amer : la poésie brille généralement par son absence, ou par la place scandaleusement réduite, insupportablement occulte, qui lui est attribuée.
« Le cinéma, le théâtre, la danse ou la musique ont trouvé dans nos villes des lieux où s’épanouir, mais pas la poésie ».
Quelles sont les raisons de cette relégation ? Pour Alain Marc, la responsabilité en incombe d’une part aux éditeurs, trop réticents à publier des ouvrages de poésie ou à n’en faire paradoxalement que des objets de luxe destinés aux rares amateurs, d’autre part aux libraires et aux bibliothécaires, trop enclins à cloisonner dans un rayon « spécial » situé sciemment dans des recoins d’arrière-boutique les quelques poètes patentés, seuls susceptibles, selon l’opinion surfaite et subjective qu’ils se font de l’actualité et de l’histoire du genre poétique, d’intéresser un lecteur égaré.
Il y a les poètes qui nous sont proposés comme tels par les éditeurs qui ont pignon sur rue. Il y a les poètes qui ne sont édités que par de petits éditeurs. Puis il y a les poètes « sans grade ».
Mais pour l’auteur, les premiers responsables sont les poètes eux-mêmes. Les uns, dénonce Alain Marc, se cantonnent par héritage forcé dans une langue dont ils considèrent que l’hermétisme seul lui confère le statut de poésie, confortés par les porteurs, universitaires ou critiques autorisés, de la norme officielle et souveraine que Marc assimile à ce que Barthes qualifie de littérature bourgeoise.
La vision monolithique, exclusive, passéiste et destructrice de la poésie qui censure, condamne, accuse et rejette… Jacques Gaucheron (1) la nomme poésie « éternelle » : C’est toujours la poésie éternelle, dont personne ne sait ce qu’elle est, puisqu’elle n’existe pas, qui commande les points de vue critiques ou les attitudes de la sensibilité. D’où en fait une absence de critique, et plutôt un grand geste d’anathème.
La plupart sont fatalistes, admettent à l’avance que leur recueil ne sera lu que par quelques dizaines, peut-être quelques centaines, au mieux quelques petits milliers de lecteurs.
Un auteur note dans son journal publié : j’ai probablement cent lecteurs occasionnels, dix réguliers et un fanatique (moi-même).
Le poète d’aujourd’hui, accuse encore l’auteur, écrit pour des revues qui ne sont lues que par d’autres poètes qui à leur tour y publieront leurs textes. Les sociétés de poésie ne seraient plus que des cercles ésotériques restreints d’initiés s’éditant, se lisant, se commentant et se congratulant, mais aussi se jalousant les uns les autres. Alain Marc va jusqu’à utiliser le mot « secte », en arguant du fait que cette poésie-là se coupe volontairement du public.
Au passage, Alain Marc attaque l’édition à compte d’auteur et l’autoédition qui aboutissent à la publication d’œuvres de qualité littéraire médiocre, voire nulle.
L’autocongratulation – je te publie parce que tu me publies, je parle de toi parce que tu parles de moi – […] mais aussi le compte d’auteur, et le manque de rigueur […] les plus graves maux qui rongent la poésie…
Pourquoi la poésie ne s’afficherait-elle pas ? s’indigne Alain Marc. Pourquoi, lorsqu’elle le fait, lorsqu’elle se met par exception en scène, le fait-elle par la voie, par la voix d’acteurs qui ne savent pas la mettre en valeur, coincés qu’ils sont dans les stéréotypes d’une diction classique théâtrale, figée et frigide ?
Alors ? Quelle poésie pour Alain Marc ?
Il est urgent, martèle-t-il, que la poésie sorte des cryptes, émerge du mystère dans lequel elle s’est volontairement immergée depuis plus d’un siècle. Il est urgent que la poésie ait à nouveau du sens, non pas un sens caché, qu’il faut aller déchiffrer, interpréter, feindre de comprendre, non pas une poésie qui ne fonderait sa beauté que sur la forme, le style, la figure, mais une poésie sociale, voire sociétale, une poésie du réel, du quotidien, du tangible, une poésie militante, une poésie agissante, une poésie de la résistance, du citoyen, une poésie sur « le sens du monde » et non plus, ou non plus seulement, sur le sens… de la poésie…
Et de citer à nouveau Jacques Gaucheron : « On peut du reste très bien envisager une poésie d’actualité, une poésie de réponse immédiate à l’événement, dans le sens même de l’exigence de modernité ».
Pour une poésie publique
Après avoir exposé ces causes, et d’autres encore, selon lui, de la rupture entre la poésie et son destinataire naturel, le public, tout le public (et non pas « un » public), après avoir distingué les fonctions potentielles de la poésie dans la société, Alain Marc retranscrit sur cent-quarante pages les notes et chroniques quasi quotidiennes, dûment datées, qu’il a consignées dans ses carnets de 1990 à 2013.
Réflexions immédiates, réactions à vif, prises de position, discours polémiques sur tous les événements, grands et inaperçus, de l’actualité de la poésie sur presque un quart de siècle, citations de poètes et de critiques, extraits de ses lectures de journaux, de revues, de magazines, de recueils, rapports de visites en une multitude de librairies, l’ensemble constitue une mine extraordinaire d’éléments et d’arguments sur lesquels Alain Marc fonde son combat et ses propositions pour une poésie publique fondée sur une écriture du « Cri », à rapprocher de la thèse exposée par Alain Milon dans La Fêlure du Cri (Editions Encre Marine, 2010).
Quelques propositions :
Que la poésie sorte du schématisme imposé et des poncifs d’un art poétique que l’auteur juge dépassé, inadapté, formaliste, intégriste, dictatorial et élitiste !
Que pour autant elle ne tombe pas dans la facilité, vite synonyme de médiocrité !
Qu’elle rende la primauté au sens !
Que les poètes cessent de se considérer a priori comme des créateurs incompris, voire maudits ! Qu’ils sortent du défaitisme et du fatalisme !
Qu’ils se battent, et que leurs éditeurs se battent avec eux, pour la poésie !
Mais que la poésie elle-même soit une poésie offensive, participative, ouverte sur l’époque et sur ce qui s’y passe !
Les poètes et leurs lecteurs ne devraient pas manquer d’approuver…
Patryck Froissart
(1) Sur un chemin de poésie, la Poésie, la résistance, Ed. Messidor, 1989
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