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Gorki et ses fils, Correspondances (1901-1934) 2ème partie (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi le 10.02.22 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Gorki et ses fils, Correspondances (1901-1934), éditions des Syrtes, février 2022, trad. russe, Jean-Baptiste Godon, 480 pages, 23 €

Gorki et ses fils, Correspondances (1901-1934) 2ème partie (par Yasmina Mahdi)

 

La chaîne des sodalités

2. Lettres à Zinovi

La deuxième partie de cette correspondance s’établit entre Gorki et Zinovi Pechkov, grand voyageur. Zinovi séjourna tout d’abord à Stockholm, à Détroit, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada, étant « déserteur au regard de la loi russe ». Il dépeint l’Amérique du début du XXème siècle et son organisation capitalistique : « Tous s’efforcent d’engranger autant de dollars que possible, les ouvriers comme les rupins (…) Et tout est follement cher (…) ». La course au profit, les exactions, les injustices, la manière décomplexée de gagner de l’argent donnent lieu à la description éloquente d’une « maison de passe », dont le morceau narratif pourrait illustrer une scène cinématographique.

Au cours de son périple, Zinovi s’attache aux paysages et aux autochtones d’Honolulu, aux Kanaks : « Les rues sales des Kanaks ou le petit cordonnier du quartier japonais m’intéressent infiniment plus qu’eux (…) les “nantis, mes ennemis, les ennemis de la musique de mon âme” ». Il est également épris de sodalité envers « les insulaires, parés de leurs vêtements flamboyants ». Son témoignage est important concernant la migration en Australie et en Nouvelle-Zélande, où « les migrants malades [étaient] renvoyés en Australie parce que le gouvernement américain ne les avait pas laissés entrer ». Il improuve la politique libérale anglosaxonne : « C’est comme ça, ici. On ne proteste pas. (…) Pour protester, disent-ils, il y a les églises, et il y en a beaucoup. (…) Les informations apportées par les dépêches sont aussi chiches que les restes servis aux voyageurs de troisième classe sur les paquebots » dans « cet État semi-socialiste, comme l’affirment certains journaux américains ». Soulignons que le point de vue d’un communiste sur une soi-disant démocratie est éclairant.

Les aventures de Zinovi Pechkov au Canada sont périlleuses et chevaleresques, parfois proches de la survie. Gorki et Zinovi sont tous deux éprouvés par des maux physiques, la phtisie faisant des ravages. Des déboires financiers et des mésententes ternissent leurs relations à partir de 1911. Zinovi est grièvement blessé et amputé du bras droit, fait cruel corroborant la malédiction de son père biologique, « sort dévolu aux apostats » (dans le judaïsme). Gorki, antimilitariste, désapprouve avec virulence l’héroïsme de guerre de son fils. En 1922, visionnaire, il écrit à Zinovi, à la suite de la NEP (nouvelle politique économique du printemps 1921 lancée par Lénine). « Or l’Europe n’a pas d’avenir si la Russie n’est pas dans le jeu. C’est une évidence. (…) Ensuite, la question du communisme en Russie est perdue d’avance. (…) Le paysan est le nouveau maître de la situation ».

Des considérations universelles étayent cette conversation, à la fois complexe et teintée d’empathie : « Le temps file à une vitesse effrayante. On n’a pas le temps de se retourner, les jours s’envolent, les semaines passent… » (1913). En 1922, les territoires dans lesquels vivent Gorki et Zinovi sont éloignés et aux antipodes – pour Zinovi, à Meknès, où « il y a quelque chose de fascinant en Afrique, dans ce soleil, dans cette poussière brûlante, dans ces plaines torrides, dans la douceur des montagnes » ; et pour Gorki, à Heringsdorf : « Je vis depuis le mois de juin au bord de la mer Baltique, l’été est froid et pluvieux, un vent puissant souffle dix fois par jour ». Certaines des lettres de Zinovi Pechkov proviennent de l’ouvrage Les Juifs dans la culture de l’émigration russe (1919-1939), Parkhomovski, 1993. Zinovi, en mission, découvre le Maghreb, alors sous protectorat français et il laisse de belles pages : « Mes officiers et une grande partie de mes hommes étaient postés dans plusieurs forts à l’est de l’Atlas. C’est une région opulente où l’on trouve des jardins merveilleux, des oliveraies, des vignes, où des torrents impétueux jaillissent au pied des montagnes. Devant le fort d’Ouaouizeghet, passe un large cours d’eau, l’oued El-Abid ».

Cet exposé forme une archive unique sur la colonisation, l’annexion de l’Afrique du Nord et les légionnaires. Zinovi confirme que « Nous avons beaucoup de choses à apprendre en Afrique des Arabes et des berbères. Je suis frappé et sincèrement touché par l’attention, la magnifique attention humaine et le respect qu’ils témoignent les uns pour les autres ». S’agit-il d’un réveil, d’une réflexion profonde sur sa propre judéité, sur son appartenance à un peuple sémite ? Le fils adopté par Gorki voyage ensuite jusqu’à Homs, toujours dans le cadre de la Légion étrangère, au service de la France. Il fait part à son père – « Mon cher et bien-aimé Alexeï » – des nouvelles du Proche-Orient. Gorki, quant à lui, l’informe d’une perte douloureuse et des catastrophes naturelles qui accablent l’Italie, de Sorrente où il réside. Cette phrase émouvante résume les liens filiaux des deux hommes : « Tu me manques beaucoup, j’ai très envie de te voir, mais il me semble que notre destin soit de vivre éloignés l’un de l’autre. (…) Ton Zina ».

La totalité de la correspondance de Maxime Gorki est une œuvre forte de 24 volumes, en cours de publication entreprise par l’Institut de la littérature mondiale de Moscou depuis 1997.

 

Yasmina Mahdi

 

Lire la première partie ==> http://www.lacauselitteraire.fr/gorki-et-ses-fils-correspondances-1901-1934-par-yasmina-mahdi

 


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A propos du rédacteur

Yasmina Mahdi

 

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rédactrice

domaines : français, maghrébin, africain et asiatique

genres : littérature et arts, histoire de l'art, roman, cinéma, bd

maison d'édition : toutes sont bienvenues

période : contemporaine

 

Yasmina Mahdi, née à Paris 16ème, de mère française et de père algérien.

DNSAP Beaux-Arts de Paris (atelier Férit Iscan/Boltanski). Master d'Etudes Féminines de Paris 8 (Esthétique et Cinéma) : sujet de thèse La représentation du féminin dans le cinéma de Duras, Marker, Varda et Eustache.

Co-directrice de la revue L'Hôte.

Diverses expositions en centres d'art, institutions et espaces privés.

Rédactrice d'articles critiques pour des revues en ligne.