Épépé, Ferenc Karinthy
Épépé, traduit du hongrois par Judith et Pierre Karinthy et présenté par Emmanuel Carrère, septembre 2013, 285 pages, 9,95 €
Ecrivain(s): Ferenc Karenthy Edition: Zulma
En route pour un congrès de linguistique se tenant à Helsinki, un linguiste hongrois se retrouve, sans savoir comment, dans une ville tout à fait inconnue, dont les habitants parlent une langue hermétique à cet érudit polyglotte.
Ce roman, publié en Hongrie en 1970, pourrait en somme amuser, décrivant les tribulations d’un Huron hongrois dans une contrée inconnue. Il pourrait aussi paraître banal comme le souligne Emmanuel Carrère dans sa préface, dénonciation, parmi d’autres, des perversions de la métropole moderne, en une sorte de dystopie évoquant l’ancien bloc de l’Est, et plus directement encore Budapest – l’intervention d’une armée étrangère dans la répression d’une révolte fait signe de façon évidente vers l’insurrection hongroise de 1956.
Son originalité et son caractère continûment oppressant viennent de l’atmosphère de cauchemar que sait instaurer l’auteur, par l’excès auquel il porte la description d’aspects pourtant familiers : densité de la foule, indifférence des passants, complexité du tissu urbain. Il laisse dans le flou la manière dont le linguiste est arrivé dans la ville et crée une tension entre le caractère très ordinaire de la situation – un homme de passage dans une ville inconnue, installé dans un hôtel de tourisme – et sa difficulté ou son incapacité à surmonter des obstacles fort communs, tels que se nourrir, prendre un taxi, trouver une gare – et ce alors même que le personnage, éminent linguiste et familier des voyages, devrait les affronter avec une grande aisance.
Les habiles et obstinées tentatives de l’universitaire pour décrypter l’univers qui l’entoure et rentrer chez lui forment ainsi des scènes parfois cocasses, mais généralement poignantes. Le roman propose de la sorte une manière de survival feutré, la métropole populeuse se révélant peu à peu un milieu tout aussi claustrophobique que la plus secrète des geôles. L’impossibilité dans laquelle le linguiste se trouve de comprendre le moindre mot de la langue parlée par les habitants, de se repérer dans la ville, globalement de progresser de quelque façon vers son but fige la narration en un piétinement angoissant par rapport auquel toute évolution, même négative, paraît un soulagement. De ce fait, les dernières pages du livre, parce qu’elles tirent le lecteur de ce statisme, sont un peu moins séduisantes, même si la déchéance du personnage est décrite avec un réalisme fort convaincant et que l’ambiguïté de la fin évite un trop facile happy-end.
Ivanne Rialland
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