Entretien avec Luc Baba, mené par Didier Smal
Pour le lecteur qui vous découvre avec « Elephant Island », que faut-il savoir de votre passé littéraire ?
Rien. Il ne faut rien savoir. J’écris depuis l’âge de sept ans. Mon passé est littéraire, mon présent aussi. Mon nom est une marque, un logo. Ceux qui aiment Elephant Island s’informeront sur ce qui existe d’autre dans la même marque, et se feront une idée.
Existe-t-il un auteur ou un roman dont vous puissiez dire qu’il vous a donné, si pas l’envie, du moins l’impulsion pour à votre tour vous exprimer par la plume ?
Certains auteurs et certains livres me confortent dans le bonheur des mots, Giono, Gaudé, Gascar, Jules Vallès (L’enfant), etc. Mais ce sont les pouvoirs magiques de la langue et des mots eux-mêmes qui m’ont emmené sur la terre des romans, dans le sillage de rencontres humaines, de l’invraisemblable humanité, des pages de destin déguisées en hasards.
Vous avez écrit des livres pour la jeunesse ; « Elephant Island » pourrait-il être aussi lu par des jeunes d’aujourd’hui, selon vous ? Et selon quelles éventuelles modalités ?
Oui, sans modalités. Disons à partir de 13 ans. Je me réjouis d’avoir des échos de lecteurs jeunes, nous pourrons reparler de ceci.
Quels sont, s’ils existent, vos modèles de romans ou de récits relatifs à l’enfance, et pourquoi ceux-là ?
J’ai évoqué L’enfant de Jules Vallès, un roman d’une incroyable modernité, écrit dans une liberté de ton, avec distance, humour, l’âme, le cœur et le ventre. Vallès y relate un quotidien d’enfant chahuté par des adultes austères et bornés. Une œuvre majeure à sortir des greniers.
« Elephant Island » est un roman qui évoque l’enfance maltraitée sans jamais céder au pathos ; la pudeur en littérature vous semble-t-elle un prérequis indispensable ? Et pourquoi cette thématique selon cet abord spécifique, celui des institutions pour la jeunesse durant la première moitié du vingtième siècle ?
Le prérequis indispensable est, à mes yeux, le mariage de la bienveillance et du don. Ecrire dans le don et la bienveillance apportera la pudeur et l’humilité. La thématique, c’est la liberté, celle qui mérite la lutte. Les murs d’un orphelinat sont un décor idéal pour parler de liberté. On célèbre le centenaire d’une guerre en parlant de la lutte des poilus dans les tranchées, sans savoir que des gosses rêvaient de bateaux dans des prisons sans âme. Il est utile que les jeunes sachent qu’ils doivent leurs conditions de vie à des mecs qui ont lutté pour ça, et qu’il reste des combats, des missions humaines, pour évoluer encore.
L’autre grand sujet de « Elephant Island » c’est Liège ; dans quelle mesure définiriez-vous ce roman comme « liégeois » ? Eprouviez-vous le besoin d’écrire un roman qui, par la bande, relate aussi l’histoire de la ville d’où vous provenez ?
J’aime ma ville, son histoire, ses gens, ses tavernes, sa chaleur. J’ai lu de nombreux ouvrages évoquant ses ambiances de jadis. Je l’aime avec ses failles, ses pages d’ombre. J’ai aimé écrire dans le décor du roman. Depuis la terrasse du Bouquin, je voyais les murs de ce qui fut l’orphelinat de mon petit Louis. Puis je me baladais du côté de Sainte-Barbe, et je me sentais l’ange gardien de Rose, arrivé trop tard sur les lieux, et n’ayant plus que ses cahiers pour lui rendre hommage.
« Elephant Island » est un roman qui parvient à évoquer des problématiques universelles tout en possédant un ancrage local fort ; autrement dit, on pourrait le traduire en anglais sans qu’il perde son effet, à quelques notes en bas de page nécessaires près (pour les bouquettes entre autres). Cette double tension, universel-local, était-elle voulue ? Comment pensez-vous l’avoir obtenue ?
Je ne crois pas trop en cette notion de « local ». Quand on se penche sur le cœur des hommes, ses murs, sa quête de liberté, les murs d’un orphelinat, rien ne sera local. Cela dit, je suis heureux que ce roman soit sorti en France, la frontière tombe d’elle-même.
Une impression de lecture : Luc Baba a écrit un roman bien plus imposant, qu’il a longuement élagué pour n’en conserver que l’essentiel, qui est devenu « Elephant Island » ; est-ce exact ?
Eh bien non, mon cher Didier. J’aime aller à l’essentiel, et laisser au lecteur le loisir d’écrire entre les lignes. Trop peut-être ? Mais surtout, à l’instant d’écrire, je ne quitte pas des yeux cette question essentielle : ce que je suis sur le point d’écrire, est-ce que cela servira le récit ? Je m’épargne alors l’écriture de pages superflues.
Qu’est-ce qui « fait » un bon sujet de roman pour Luc Baba ? En a-t-il d’autres dans sa besace ?
Un bon sujet de roman est un sujet que l’auteur porte au plus profond de lui et jusqu’à la pointe des cils. Par exemple, l’alpinisme est un excellent sujet de roman quand Frison-Roche s’en empare. Ce serait un mauvais sujet pour moi. Je travaille actuellement sur un roman intitulé « L’arbre d’oubli », pour lequel j’ai obtenu une bourse du Ministère. Il s’ouvre en 1803, à Ouidah, sur les côtes de l’actuel Bénin. Un homme est capturé et poussé sur un navire négrier. Je suis sa descendance jusqu’en 2013, en Alabama. La liberté encore, oui, mise ici à l’échelle d’une communauté immense.
Entretien mené par Didier Smal
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