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Récits

La tristesse durera toujours, Yves Charnet

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Samedi, 30 Novembre 2013. , dans Récits, Les Livres, Livres décortiqués, La Une Livres, Poésie, La Table Ronde

La tristesse durera toujours, janvier 2013, 176 pages . Ecrivain(s): Yves Charnet Edition: La Table Ronde

 

Yves Charnet nous offre dans son récit, paru en janvier 2013 aux éditions de La Table Ronde, une légende, un chant, un tombeau poétique, un hymne aux femmes qui ont jalonné sa vie et l’ont marqué de façon indélébile avec plus ou moins de bonheur. Il emporte le lecteur, sans barrière de protection, dans ses errements géographiques, psychiques et langagiers. Et nous nous embarquons avec lui dans un étrange et envoûtant voyage.

Dès le titre, il avise ses lecteurs : La tristesse durera toujours. Il emprunte ainsi les dernières paroles prêtées à Van Gogh avant de mourir. Et c’est ce que le récit va déployer en virtuose dans une écriture d’une grande franchise. Il nous prévient à plusieurs reprises de la visée de son projet d’écriture qu’il poursuit depuis le début de son œuvre. C’est d’abord par la voix de Louis René des Forêts qu’il nous avertit : « Dire et redire encore, redire autant de fois que la redite s’impose, tel est notre devoir qui use le meilleur de nos forces et ne prendra fin qu’avec elles ». Et si l’on n’est pas convaincu, il insiste : « Un homme avec la gueule d’un autre. Un écrivain c’est ça. Un type seul en terrasse ». Oui, la solitude est là, ancrée au cœur de son être, malgré tout son entourage. L’auteur a compris depuis longtemps que l’humain se retrouve profondément seul face à la souffrance, face à la mort. Et il ne lui reste que le souvenir dont il tente de laisser trace.

Éducation d’un enfant protégé par la Couronne, Chinua Achebe

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 29 Novembre 2013. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Actes Sud

Éducation d’un enfant protégé par la Couronne, traduit de l’anglais (Nigéria) par Pierre Girard, novembre 2013, 191 p. 21,80 € . Ecrivain(s): Chinua Achebe Edition: Actes Sud

 

Chinua Achebe est sans doute l’auteur du roman le plus connu des Africains, toutes langues d’écriture confondues. Things fall apart est son titre. Il est paru en 1958 chez William Heinemann en Angleterre. Achebe avait 28 ans. Les éditions Présence Africaine le traduisent en français en 1966, sous le titre Le Monde s’effondre. Titre meilleur, à notre avis, que celui que les éditions Actes Sud donnent à une nouvelle traduction qui vient de paraître : Tout s’effondre.

Le Monde s’effondre ou Tout s’effondre, c’est l’histoire de la pénétration coloniale dans l’univers cohérent et indépendant d’un clan du peuple Igbo (sud-est du Nigéria actuel) à la fin du XIXè siècle.

La quatrième de couverture de l’édition de 1966 parle d’un des romans « les plus riches et les plus pondérés » qu’ait donnés l’Afrique noire. Ce roman est si magistral qu’on a fêté, en 2008, le cinquantenaire de sa parution à travers le monde anglophone et africain.

Ma vie et autres trahisons, Roland Jaccard

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 22 Novembre 2013. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Grasset

Ma vie et autres trahisons, janvier 2013, 195 pages, 16 € . Ecrivain(s): Roland Jaccard Edition: Grasset

 

Roland Jaccard donne prise dans Ma vie et autres trahisons à cette « [j]ubilation du mal-penser » qu’il évoque dans Sexe et sarcasmes (Presses universitaires de France, collection Perspectives critiques, 2009). Ce mal-penser dont il tète le sein avec délectation.

Il fait montre, à chaque page, du plus constant cynisme, et s’en défend de cette manière : « Nous ne disposons que d’une arme pour nous tirer d’embarras : le cynisme. Provisoirement, tout au moins ».

Protection, en somme. Carapace. Qui dissimule mal les traits d’un « romantique », comme le prouve ce passage : « Plus rien n’importait maintenant que la douceur complice de nos étreintes. […] [J]’éprouvais un tel bonheur à avoir une fois encore, et peut-être pour la dernière fois, perçu à travers les vibrations de son corps l’offrande de son âme […] ».

Mais le cynisme est aussi une façon de présenter la vérité telle qu’elle est, sans fard. Et cette mise à nu du réel, de ses chairs, cette lacération de ses jupons n’interdit pas une certaine délicatesse, qui se fait montre jusque dans le style de Jaccard. Car, comme le confiait Hervé Guibert sur le plateau d’Apostrophes, face à Bernard Pivot, « [i]l y a des effets de délicatesse dans la vérité, si cruelle soit-elle ».

Je vais, je vis, Hubert Lucot

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mardi, 19 Novembre 2013. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, P.O.L

Je vais, je vis, octobre 2013, 672 pages, 25 € . Ecrivain(s): Hubert Lucot Edition: P.O.L

 

Bien sûr quand on écrit on peut toujours affirmer : « C’est trop tôt, c’est trop tard ». Mais pour le lecteur, il n’est jamais trop tard pour voyager dans les mots de l’autre.

Ceux qui l’aiment monteront dans ce train, un train qui vous emportera, vous lecteurs, dans un long trajet de plus de deux ans et de plus de six cents pages. Vous accepterez de suivre Hubert Lucot dans une pérégrination consignée dans un journal de voyage qu’il a intitulé Je vis, je vais qui est une reprise d’une phrase prononcée par sa femme. En fait, l’auteur fait dans ce volume le récit de la maladie et de la mort de celle-ci qui survient alors qu’elle a soixante-quinze ans et lui soixante-seize. Il l’appelle A.M. (que l’on peut entendre comme « Amour et Mort ») et lui, se nomme H.L. Parfois leurs deux noms sont accolés comme s’ils ne formaient plus qu’un bloc, un « Nous » indissociable qui scande une longue vie d’amour. Parfois, ils se découpleront. Il déroulera cet épisode de son existence comme une pelote, narrée jour après jour ou presque, heure après heure ou presque, dans une écriture qui vous surprendra, qui vous dérangera, qui vous troublera mais qui finira par vous conquérir et vous enthousiasmer.

Lettres à Poséidon, Cees Nooteboom

Ecrit par Yann Suty , le Samedi, 09 Novembre 2013. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Actes Sud, Correspondance

Lettres à Poséidon, traduit du néerlandais par Philippe Noble, octobre 2013, 266 pages, 22 € . Ecrivain(s): Cees Nooteboom Edition: Actes Sud

 

Certains écrivent à leur femme ou à leur maîtresse. D’autres à leur père ou leur mère ou bien à des amis. Certains à un frère, à une sœur, d’autres à un mort ou à un descendant. Beaucoup de combinaisons sont possibles. Cees Nooteboom, lui, a décidé d’écrire des lettres à un dieu, et pas n’importe lequel, Poséidon, le dieu de la mer, que d’autres appellent Neptune.

L’idée lui vient alors qu’il est installé à la terrasse d’un restaurant appelé, justement, le « Poséidon », sur son lieu de vacances. Sur la serviette qu’un serveur lui apporte, il voit le nom du dieu au trident inscrit en bleu, bleu comme la mer au bord de laquelle il vit l’été. Pour lui, c’est un signe (« quelqu’un veut me dire quelque chose, et j’ai appris à obéir à ce genre de signes ») et il décide, une fois qu’il aura achevé le roman sur lequel il planche, de lui destiner des lettres. Ou plutôt, il lui dédie des « petites collections de mots » où il l’informera de sa vie. Il lui relate les petites choses qu’il lit ou qu’il voit, des événements de sa vie. Il lui fait part de ses pensées, d’images qu’il a vues à la télévision. Il s’interroge sur la vie et la mort, ou médite sur les philosophes.