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Recensions

Eloignez-vous de ma fenêtre, Vénus Khoury-Ghata (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Vendredi, 25 Juin 2021. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Mercure de France

Eloignez-vous de ma fenêtre, Vénus Khoury-Ghata, juin 2021, 128 pages, 14,50 € Edition: Mercure de France

Modeste à se sentir « fissure pour engouffrer le peu », Vénus Khoury-Ghata, plume majeure de notre poésie et aussi romancière, vit de précipités minéraux à se poser la question de la solitude ou de l’écartement : « Eloignez-vous de ma fenêtre/ ne revenez qu’après la fermeture définitive de la planète/ quand mes os seront de pierre sèche/ mes gestes de vents retenus ». C’est que la présence des disparus peut être tenace : « il faut être très mort pour ne pas revenir ». Les dédicaces en disent long pour savoir qu’il ne s’agit pas d’un enfermement mais d’une sorte de pause d’incompréhension où les mots creusent le sol, les arbres, les passants interrogés, le lecteur sans doute également.

La vie semble étrangement se passer par contumace et très à l’étroit dans l’étriquement des mots resserrés comme autant d’interpellations à tenter l’impossible écoute : « Ecoute/ écoute le terreau au-dessus de ta tête/ suis les dédales de l’obscurité pour ne pas t’égarer ». La vie, bonne conseillère donc, essaie de trouver la faille à tenter l’impossible : « on vit de ce qui ne peut mourir dit la vieille qui plume la volaille/ sur le seuil de la cuisine/ et elle s’essuie le visage avec un pan de son tablier maculé de sang ». L’idée de l’auteur est scénique d’autant qu’elle manie une poésie à la limite de la prose.

Ce n’était que la peste, Ludmila Oulitskaïa (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 24 Juin 2021. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Russie, Roman, Gallimard

Ce n’était que la peste, avril 2021, trad. russe, Sophie Benech, 138 pages, 14 € . Ecrivain(s): Ludmila Oulitskaïa Edition: Gallimard

 

Ce fut un accident idiot – comme au fond ils le sont tous. Un biologiste travaillant dans un institut de recherches à Saratov, sur des souches de la peste pulmonaire, reçoit en pleine nuit, alors qu’il est dans son laboratoire, un appel téléphonique lui enjoignant de se rendre sans délai à Moscou. Dans l’Union soviétique de Staline, ce n’est pas le genre de convocation qui fait plaisir, et pas seulement parce que cela représente un voyage aller-retour de mille cinq cents kilomètres. Dans la précipitation, le chercheur ne rajuste pas son masque correctement et, sans le savoir ni le vouloir, il emporte ainsi la peste dans le train, puis dans la capitale, à son hôtel et à l’hôpital où son état le conduira. Il sera le premier à mourir, mais pas le seul. En 1720, la peste fit disparaître entre 30.000 et 40.000 personnes, la moitié de la population marseillaise. Moscou comptait en 1939 plus de quatre millions d’habitants…

De l’Écriture politique comme un art, George Orwell (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 01 Juin 2021. , dans Recensions, Les Livres, Essais, La Une Livres, Iles britanniques, Editions Louise Bottu

De l’Écriture politique comme un art, février 2021, trad. anglais, Pierre Grimaud, Polina Martinez-Naumenko, Frédéric Schiffter, 134 pages, 13 € . Ecrivain(s): George Orwell Edition: Editions Louise Bottu

 

Si célèbre soit-il, George Orwell est paradoxalement un écrivain méconnu. L’édition massive de ses œuvres complètes, que Peter Davison et ses collaborateurs publièrent en vingt volumes (auxquels ils ajoutèrent en 2006 un supplément, The Lost Orwell) et qui compte neuf mille pages, est presque entièrement dissimulée derrière un livre, un seul. Disons-le sans méchanceté : il faut parfois beaucoup d’indulgence pour trouver de l’intérêt à certaines de ses autres productions, lesquelles n’eussent probablement jamais été rééditées si elles n’avaient eu le même auteur que 1984. On ajoutera que, même si le titre d’une œuvre ne fait pas tout, Orwell se montra peu inspiré dans ce domaine. Qui acquerrait de son plein gré et sans être mu par une curiosité malsaine un volume intitulé Keep the Aspidistra Flying (la traduction française est encore plus repoussante, qui propose Et vive l’aspidistra !) ? Le recours à l’anthologie paraît donc une solution de bon sens et celle-ci est de grande qualité.

La bonne histoire de Madeleine Démétrius, Gaël Octavia (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 28 Mai 2021. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

La bonne histoire de Madeleine Démétrius, octobre 2020, 266 pages, 19 € . Ecrivain(s): Gaël Octavia Edition: Gallimard

 

Gaël Octavia évente un secret dans cet ouvrage : toute vie humaine est un roman. Si l’on raconte non pas ladite vie (illusion) mais ce que les autres savent, pensent, croient, imaginent à son sujet. En somme, si l’on rassemble peu à peu, posément, les multiples pièces du puzzle éparpillées dans la tête des uns et des autres au sujet d’une personne, on produit un roman. Nul ne peut connaître exactement et totalement la vie d’autrui. Nous compensons donc beaucoup au sujet des autres ; nous complétons de notre chef les pièces manquantes ou qui nous sont inconnues, nous déduisons, nous imaginons sans cesse parce que nous devons satisfaire en nous le besoin de compréhension et de cohérence à propos des autres.

La bonne histoire de Madeleine Démétrius est un titre à la fois exact et un peu trompeur. Exact parce qu’effectivement il s’agit bien d’un personnage qui s’appelle Madeleine Démétrius et d’un roman dont il est le fil conducteur. Mais le titre est aussi un peu trompeur parce qu’il s’agit, dans ce roman et quasiment à égalité, de beaucoup d’autres personnes en dehors de Madeleine Démétrius.

Clarté naissante, Francis Gonnet (par Parme Ceriset)

Ecrit par Parme Ceriset , le Mercredi, 12 Mai 2021. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Editions du Cygne

Clarté naissante, Francis Gonnet, mars 2020, 54 pages, 10 € Edition: Editions du Cygne

 

« Clarté naissante »… Voilà un titre qui interpelle immédiatement le lecteur et l’on comprend que ce recueil va s’inscrire dans une réflexion existentielle. En effet, ces deux mots font écho à notre arrivée au monde, et naître à la clarté, c’est surgir des ténèbres. Chaque jour de notre vie peut être une renaissance. La question qui en découle est la suivante : après la mort, rejoint-on les ténèbres ou renaît-on à la clarté ? La poésie de Francis Gonnet répondra en partie à ces questionnements. D’ailleurs, la fin ne rejoint-elle pas le commencement, comme le suggère cet extrait de l’Apocalypse, cité par l’auteur en introduction, qui symbolise l’éternité ?

« Je suis l’alpha et l’oméga / le commencement et la fin » (Apocalypse 21.6)

Le recueil est scindé en trois parties : « Celui qui était », « Celui qui est », « Celui qui vient ».