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Les Livres

Chronique des sentiments, tome I, Alexander Kluge

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 26 Avril 2016. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Langue allemande, Récits, P.O.L

Chronique des sentiments, tome I, traduit de l'allemand mars 2016, 1116 pages, 30 € . Ecrivain(s): Alexander Kluge Edition: P.O.L

 

Alexander Kluge fut l’élève d’Adorno avant de devenir avocat. Son maître philosophe estima qu’il lui serait impossible d’être écrivain et juriste. Il envoie le futur auteur mis d’abord sous tutelle, auprès de Fritz Lang. Adorno estimait que le cinéma lui passerait l’envie de littérature. Il fut l’assistant de Fritz Lang sur Le Tombeau hindou avant de commencer sa propre carrière. Auprès du maître – si maltraité en Allemagne – il apprend « ce qu’est un génie et comment on détruit son travail ».

Plus tard Alexander Kluge est un des signataires du Manifeste d’Oberhausen qui réforme le cinéma allemand et réinvente les outils de production. Il a réalisé de nombreux courts métrages et documentaires et dix longs métrages : Nouvelles de l’idéologie antique, Le complexe d’Allemagne, Fruits de la confiance. Néanmoins Kluge ne renonce pas à l’écriture même s’il a d’abord fait du cinéma, mais dit-il « comme on écrit des livres ». Quant à ces derniers, il les a créés – selon la formule de Peter Weiss – « avec les moyens de cinéma ».

Délivrance, James Dickey

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 26 Avril 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Gallmeister

Délivrance, trad. de l’américain par Jacques Mailhos, 309 pages, 11,00 € . Ecrivain(s): James Dickey Edition: Gallmeister

 

Publié en 1970, Délivrance est un des romans américains qui a su le mieux mettre en perspective la sauvagerie enfouie au sein de chaque homme civilisé, la civilisation étant par essence frustrante, placé qu’il est sous le signe de Georges Bataille, dont une citation sert d’épigraphe : « Il existe, à la base de la vie humaine, un principe d’insuffisance ». A quasi un demi-siècle de distance, la plus connue des œuvres signées James Dickey (1923-1997) est toujours aussi percutante, à l’image du chef-d’œuvre qu’en a tiré John Boorman dès 1972 ; ce dernier, dans une interview récente au Guardian, disait en substance à propos de son film favori parmi son œuvre : « ce classique de 1972 parvient à être à la fois physique et mystérieux, brutal et nuancé » ; on pourrait en dire autant du roman de Dickey.

D’autant qu’en français, il se voit offrir une seconde jeunesse au format poche dans la traduction de Jacques Mailhos, plus souple que celle de Pierre Clinquart ; on peut donc s’y replonger et replonger dans les ressentis d’Ed Gentry, graphiste de son état et un des quatre citadins en mal d’aventure à se risquer sur la rivière Cahulawassee au milieu du mois de septembre.

Brumes industrielles, Yann Dupont

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 26 Avril 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

Brumes industrielles, Hugues Facorat Edition, avril 2016, 62 pages, 10 € . Ecrivain(s): Yann Dupont

 

 

D’emblée on sent que ces Brumes industrielles sont investies par une écriture poétique. La photographie de la première de couverture, de Pierre Lenoir Vaquero, déjà interpelle, arrête le regard avant l’ouverture des ailes de la brume. Celle des espaces portuaires où l’humanité grouille de se rencontrer, entre âmes laborieuses, errantes nocturnes. Une ambiance, une atmosphère d’emblée se dégage.

Qui n’a jamais ressenti l’appel ambigu d’un port maritime, parcouru des affluents de la terre et de la mer, dans ces va-et-vient du large qui brassent le ciel peuplé des lumières de la ville, de ces autochtones laborieux et nostalgiques, de ces passagers voyageurs, touristes ou aventuriers. L’usine est l’un de ces personnages, mobile sur son assise fixe, qui embrume ces existences et dépose ses métastases industrielles sur le corps de la ville et de ses passants, depuis des années-portuaires.

La vie avec Lacan, Catherine Millot

Ecrit par Philippe Chauché , le Samedi, 23 Avril 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Gallimard

La vie avec Lacan, février 2016, 112 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Catherine Millot Edition: Gallimard

« On était au mois d’août, mais la chaleur était légère et la ville désertée des voitures était d’un calme divin. Lacan y semblait comme chez lui, il en connaissait tous les musées, toutes les églises, toutes les fontaines… La beauté des lieux m’enchantait, j’aimais le bruit des fontaines et celui des pas dans les rues désertes la nuit. J’étais tombée amoureuse de Rome et cet amour dura longtemps ».

Ce petit livre est une phantasia, une apparition, celle du psychanalyste dans la vie de celle qui à son tour va le devenir. Une fantaisie, la vie légère comme la chaleur de Rome en cet été 72, la liberté libre qui se livre en Italie, à Rome, à la Villa Médicis, sur la piazza Navona, dans la basilique Saint-Clément-du-Latran, à Venise devant les Carpaccio de l’église San Giorgio degli Schiavoni, à Paris, à Barcelone, pas à pas, la mémoire de l’écrivain dessine cette carte amoureuse et aventureuse d’un été qui n’allait jamais finir. Ce petit livre nous livre – livre à lire et à vivre – à chaque page la fantaisie d’une époque – on sourit en pensant que certains fâcheux y voient là les prémices de ce qu’ils nomment le désastre actuel –, qui allait si bien à celle du psychanalyste. Lacan sur scène, ses séminaires et conférences, qui parlait aux mursLa théâtralisation faisait partie de l’art oratoire de Lacan. La colère mimée, la rage ostentatoire en étaient les traits récurrents –, Lacan silencieux, à la concentration exceptionnelle, Lacan le bélier que rien n’arrête, et Lacan immobile. Lacan des villes et Lacan des chants.

La Baignoire, Lee Seung-U

Ecrit par Marc Ossorguine , le Vendredi, 22 Avril 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Roman, Serge Safran éditeur

La Baignoire (Yokjoga Noinbang, 2006), mars 2016, trad. coréen Choi Mikyung, Jean-Noël Juttet, 138 pages, 15,90 € . Ecrivain(s): Lee Seung-U Edition: Serge Safran éditeur

 

On pourrait se demander en se plongeant dans La Baignoire, ce qui fait que nous avons les représentations que nous avons concernant la Corée et la littérature coréenne. Pourquoi ? Parce que nous sommes à peu près sûrs que pour la plupart des lecteurs il y aura plus qu’une surprise : un étonnement. Un étonnement amusé mais un étonnement qui pourrait bien être radical et amener une sérieuse révision des idées toutes faites. Cela rappelle tant les explorations d’un auteur français que nous ne nommerons pas (sinon vous n’aurez plus la surprise) que l’on se sent bien loin de l’orient supposément attendu. Puis, passé les premières pages, la surprise va s’accentuant, le décalage entre la forme ludique et la gravité légère du récit fait basculer la nature du livre que vous tenez entre les mains, vous emportant dans un autre monde, une autre vision. Étonnante et déstabilisante cette baignoire qui se remplit sans que l’on réalise bien comment et dont la phrase finit par nous envelopper et nous emporter, à l’image des personnages.