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Les Livres

Cadavres en sursis, Philip Mechanicus

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 02 Mai 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Histoire

Cadavres en sursis, éd. Notes de Nuit, avril 2016, trad. néerlandais Daniel Cunin, 300 pages, 21 € . Ecrivain(s): Philip Mechanicus

 

Entre journal intime et mémoire collective, Cadavres en sursis restera une œuvre capitale sur les camps de la mort. Refusant une attitude passive face à la vie, l’auteur lutta jusqu’au bout, porté et emporté par elle en refusant l’issue qui était pourtant inéluctable. Il fit de la mort des autres en prélude à la sienne le moyen de témoigner en pleine connaissance d’un processus tragique dont il montra tout ce qu’il avait de répugnant. Et c’est un euphémisme.

A l’origine le camp de Westerbork était sensé héberger des réfugiés juifs allemands. Après l’invasion de la Hollande par les Nazis, le camp passa sous leur administration. Dès ce moment il devint le corridor (à diverses strates) pour « transvaser » (écrit Mechanicus) les juifs hollandais de leur pays d’origine vers camps de Pologne. Sous couvert officiel d’« émigration », les juifs furent donc portés de toute la Hollande via Westerbork vers le massacre de masse jusqu’à la fin de 1944.

La ville haute, Éliane Serdan

Ecrit par Stéphane Bret , le Lundi, 02 Mai 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Serge Safran éditeur

La ville haute, avril 2016, 153 pages, 16,90 € . Ecrivain(s): Eliane Serdan Edition: Serge Safran éditeur

 

Anna, une fillette arrivée du Liban, éprouve ses premiers mois d’exil en 1956 dans une ville du sud de la France. Elle est en proie au doute, à la douleur de ce pays perdu, tant et si bien qu’elle ne sait que nommer les quartiers inconnus « La ville haute », ces quartiers qu’elle découvre au sommet de la tour de l’horloge, qui domine la ville. Elle ne croit pas aux dires de son père, qui se proclame heureux d’être là, tandis qu’elle-même se languit de « là-bas », ce lieu d’où elle est partie. Elle pense aussi à son cousin, Fabio, resté là-bas, qu’elle affectionne beaucoup. Pourtant, tout bascule lorsque Anna se hasarde à se promener dans des quartiers inconnus et tombe sous le charme d’une place aux ormeaux. Elle entre dans la maison d’un homme par audace ou inconscience ? – cela n’est pas explicité. Cette confrontation impromptue l’entraîne vers des sensations et impressions inédites pour elle : une familiarité éprouvée pour ce lieu, la présence de chaleur et de bien-être : un bonheur insoupçonné. Elle décèle dans le regard de cet homme une peur panique. D’où vient-elle ?

Anna relie cette sensation à une technique musicale : celle de l’accord plaqué sur un clavier de piano. Cet homme, de son côté, n’est pas moins ébranlé : il se nomme Pierre Hervant, vient d’être victime d’un accident du travail dans son entreprise. Il est relieur, familier des livres. Au réveil, après son accident, il croit avoir entendu quelqu’un l’appeler « Yervant ».

Majda en août, Samira Sedira (2ème critique)

Ecrit par Marc Ossorguine , le Lundi, 02 Mai 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La Brune (Le Rouergue)

Majda en août, mars 2016, 138 pages, 16 € . Ecrivain(s): Samira Sedira Edition: La Brune (Le Rouergue)

De la malédiction d’être femme ?

A force de parler immigration, on en oublierait presque que le phénomène n’est pas franchement nouveau, que les « cités » comme on dit parfois pudiquement, sont des lieux où tout n’est pas rose, loin s’en faut. Le monde devient vite un enfer quand les préjugés, la violence, l’exil et quelques autres ingrédients font régner une implacable loi du silence, que de sourdes culpabilités et d’obscures trahisons interdisent de briser.

Des silences et du défaut de parole, Majda ne cesse de payer le prix exorbitant. Seule fille et sœur aînée d’une fratrie de 6 garçons, elle aura aussi l’une des tares les plus dures à porter dans le monde qui l’entoure : être femme. Si l’on ne naît pas femme (ou homme) mais qu’on le devient, Majda, elle, n’aura pas vraiment l’occasion de devenir quoi que ce soit, si ce n’est une errance arrêtée à coup de neuroleptiques et d’internements. Un père pourtant « différent » – peut-être un peu trop – mais incapable de tendre la main au-delà de ses propres barreaux. Une mère toute entière dévouée à ce qu’une mère doit être, résignée à tout par avance, dévouée à tous et condamnée à perpétuité à une double peine, femme et mère. Et puis les frères. Surtout l’aîné, Aziz, plein de colère, adolescent qui s’inscrit docilement dans un conformisme machiste et radical qui ouvrira le sentier de la folie à sa sœur.

Le Monde d’Hier, Stefan Zweig

Ecrit par Didier Smal , le Samedi, 30 Avril 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue allemande, Récits, Folio (Gallimard)

Le Monde d’Hier, avril 2016, trad. allemand Dominique Tassel, 592 pages, 7,70 € . Ecrivain(s): Stefan Zweig Edition: Folio (Gallimard)

 

 

Exilé au Brésil, à la veille de son suicide, Stefan Zweig (1881-1941) envoie à son éditeur un manuscrit qui ne contient pas tant ses mémoires que son témoignage sur les changements qu’a connus l’Europe depuis la fin du XIXe siècle, témoignage doublé d’une réflexion aiguë et pertinente sur ces changements : Le Monde d’Hier. Incidemment, ce livre peut aussi être lu comme un testament personnel à l’intention de tous (ce que Zweig veut laisser comme vision d’une Autriche et d’une Europe défuntes à un monde alors plongé en plein dans l’horreur de la Deuxième Guerre mondiale) et comme une explication à ce terrible geste ultime (Zweig, en tant que Juif désormais stigmatisé comme tel et apatride, ne trouve plus sa place, lui qui a dû abandonner plusieurs vies derrière lui, toutes celles qu’il a menées et celles qu’il a côtoyées).

Le Lynx, Silvia Avallone

Ecrit par Marc Ossorguine , le Samedi, 30 Avril 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Italie, Editions Liana Levi

Le Lynx, trad. italien Françoise Brun (La lince, 2011, inédit publié par le Corriere della Sera), 64 pages . Ecrivain(s): Silvia Avallone Edition: Editions Liana Levi

 

Avec ce court récit de cette autrice juste trentenaire (elle est née en 1984), dont le roman D’acier a remporté un important succès en Italie comme chez nous, c’est une véritable petite pépite littéraire que nous offrent les éditions Liana Levi. En une cinquantaine de pages, Silvia Avallone nous montre un de ces basculements comme il peut parfois en survenir dans la vie d’un homme, imprimant irrémédiablement un avant et un après.

Nous faisons rapidement connaissance de Piero, sûr de lui, roublard, séducteur et bien sûr flambeur. Un petit truand qui se la joue et aime à vivre sur le fil, tutoyant plus que nécessaire la justice. Encombré d’une épouse qu’il a connue trop jeune, Piero refuse un peu de vieillir, de devenir raisonnable. Le personnage semble tout droit sorti du cinéma italien des années 60 entre les Vitelloni de Fellini (1), les Ragazzi de Pasolini et Bolognini (2), peut-être frère de Rocco (3). Un de ces trentenaires dont l’adolescence semble s’éterniser, jusqu’à ne jamais finir, jusqu’à devenir un style de vie que rien n’arrêtera jamais.