Majda en août, Samira Sedira (2ème critique)
Majda en août, mars 2016, 138 pages, 16 €
Ecrivain(s): Samira Sedira Edition: La Brune (Le Rouergue)De la malédiction d’être femme ?
A force de parler immigration, on en oublierait presque que le phénomène n’est pas franchement nouveau, que les « cités » comme on dit parfois pudiquement, sont des lieux où tout n’est pas rose, loin s’en faut. Le monde devient vite un enfer quand les préjugés, la violence, l’exil et quelques autres ingrédients font régner une implacable loi du silence, que de sourdes culpabilités et d’obscures trahisons interdisent de briser.
Des silences et du défaut de parole, Majda ne cesse de payer le prix exorbitant. Seule fille et sœur aînée d’une fratrie de 6 garçons, elle aura aussi l’une des tares les plus dures à porter dans le monde qui l’entoure : être femme. Si l’on ne naît pas femme (ou homme) mais qu’on le devient, Majda, elle, n’aura pas vraiment l’occasion de devenir quoi que ce soit, si ce n’est une errance arrêtée à coup de neuroleptiques et d’internements. Un père pourtant « différent » – peut-être un peu trop – mais incapable de tendre la main au-delà de ses propres barreaux. Une mère toute entière dévouée à ce qu’une mère doit être, résignée à tout par avance, dévouée à tous et condamnée à perpétuité à une double peine, femme et mère. Et puis les frères. Surtout l’aîné, Aziz, plein de colère, adolescent qui s’inscrit docilement dans un conformisme machiste et radical qui ouvrira le sentier de la folie à sa sœur.
C’est que Majda, non contente d’être née femme, s’est découvert un corps de femme dès les premiers jours de son adolescence. Un corps qui fait d’elle une femme et une offense aux bonnes mœurs, quoi qu’elle fasse ou dise, ou taise. Entre honte coupable et défi viril, garçons et hommes affirment leur virilité contre ce genre de « traînée » – à laquelle on ne peut reprocher que d’exister et d’essayer de vivre en dépit eux. Avec la rivalité des virilités vient l’imbécile haine, et puis… A 14 ans Majda devra subir les attouchements qui la condamneront aux yeux de ses proches comme à ses propres yeux. Il n’y aura alors plus pour elle qu’une immense confusion entre quête et fuite. Quête de l’amour qui lui est refusé ou qui n’ose jamais se dire. Fuite de ville en ville, de loin en loin sans jamais pouvoir vraiment s’éloigner et partir pour de bon.
Après vingt années d’errance, Majda réapparaîtra, noyée dans la folie, entre internements et traitements, aussi destructeurs les uns que les autres. Avec son retour inattendu et aussi « miraculeux » que maudit, les fantômes de la culpabilité comme de l’impuissance se réveillent. Oscillant entre meilleur et pire sans savoir où se poser dans une société qui n’est plus celle d’hier, mais celle d’aujourd’hui. Peut-être n’y a-t-il pas que l’âge des protagonistes qui a évolué, peut-être les représentations sociales et les idées de responsabilité ont-elles suffisamment évolué pour que le ciel bleuisse un peu à l’horizon de la cité ?
Une écriture marquée par la sensibilité poétique de l’auteur, qui est aussi celle de son personnage, qui sait éviter le pathos et le misérabilisme sans rien excuser de la fatalité qui serait à l’œuvre. Ce récit cruel, glaçant, qui sait faire entendre les non-dits, ne laissera sans doute pas ses lecteurs indifférents. Il aurait suffi de si peu… pour que tout soit différent, pour que la vie ne bascule pas dans cette mécanique effrayante d’une mort annoncée, mais les murailles du silence et des interdits sont si puissantes que parfois rien ne semble possible que le malheur.
Une voix à faire entendre et un livre à faire lire au nom de toutes les Majda du monde. Douloureusement utile. Douloureusement indispensable.
Marc Ossorguine
Lire la critique de Martine L. Petauton
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