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Majda en août, Samira Sedira

Ecrit par Martine L. Petauton 25.03.16 dans La Brune (Le Rouergue), La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Majda en août, mars 2016, 138 pages, 16 €

Ecrivain(s): Samira Sedira Edition: La Brune (Le Rouergue)

Majda en août, Samira Sedira

 

« La pluie tombait tiède et fine. Elle tirait sa petite valise à roulettes dans les flaques, sur le bord de la route ; ses pieds étaient nus ; ses joues noires de crasse. Le délire l’avait menée sur les rivages salés de son enfance, l’aveuglante lumière du Sud. A toutes les personnes qu’elle avait croisées ce jour-là, elle avait demandé : Babylone, c’est encore loin ? ».

Un des plus forts ; un des plus beaux livres du Printemps – assurément bien davantage – est là, replié dans ses 138 pages, comme chrysalide palpitant à peine. Promesse de vie ou de mort ? Les deux sans doute, les deux peut-être. En tous cas, livre-choc ; livre-voyage ; livre-rencontre avec une femme, devenue malade psychique, portée là, sur ces rivages de la folie si peu ordinaire, par son enfance, les accidents de sa vie, sans compter nous, notre société, notre Histoire. Nous en sortons, ballottés, émus-aux-larmes ; Majda, qu’on emporte, nôtre.

Un « cas » posé page après page, mêlant les éclairages ; presque techniques pour l’hôpital psychiatrique (exactement ça), plus mouvants, plus complexes en partant de l’intime et des ressorts psycho-affectifs, quand il s’agit de l’intériorité de Majda ; saupoudrant tout d’un émotionnel, haut, jamais sirupeux, qui vise le plus profond de nous. Remarquable mélange, presque fourre-tout, qui donne à lire et à ressentir un être de mémoires enchevêtrées, de fêlures, de souffrances jaillissant de partout. Pas grand-chose qui tienne debout, dans cette architecture bizarre, au minimum « à part ». C’est par où, l’individu-Majda ? Sagrada Familia de Barcelone à sa façon, de guingois, toujours. Question phare jusqu’à la dernière ligne.

L’enfance dans une banlieue grise entourée d’une famille d’émigrés, première génération, d’origine algérienne – seule fille d’une grande fratrie masculine, que dirige un frère dominant. Groupe dysfonctionnel à sa manière : père effacé, ne voulant pas porter la Loi ; mère-courage ramassant inlassablement les bouts et sacrifiant au passage d’afficher, et de verbaliser de l’amour, en particulier pour la fille. Comme un kyste noir au milieu du récit, un soir, de terrain vague, et de rencontre mortifère d’un groupe de garçons, sauce Tournante. Derrière, le regard – et le silence – du grand frère. La mort à sa façon, à deux pas de chez soi et de son école : « on disait – jour de malheur – le jour où – ce jour de merde – mais jamais – viol ». Dès lors, les cartes de Majda sont posées sur la table ; franchement pas bon, le jeu.

Tout est dit – et complètement dit – de ces manières, en ces milieux-là, de ces constructions mille-feuilles plus dangereuses que la plupart, fabriquant presque chimiquement de la fragilité. Usages ; de ces grincements si particuliers aux filles, de ces paroles – rares, en fait, de ces portes de sortie qu’on entrevoit peu, et qu’on finit par trouver, banales ; l’école, les études, le métier – prestigieux, d’une excellente intégration, dirait-on en sociologie : – Majda, une qui s’en sort ; hourra !

Sauf, que, non, Majda ne s’en sort pas. Du tout. A l’intérieur, tout est chamboulé, défait, en défaisance incessante ; tout craque dans ce « faux-self » qu’elle est devenue, Janus des temps modernes ; une facette pour la société ; une facette pour le dedans d’elle-même, et, une, encore pour les parents, chez qui elle revient, fêlée – tous sens du terme – scindée comme la schizophrénie, étrange grossesse qu’elle couve : « quand je me détraque, je le sens venir… les voix dans ma tête, un vrai souk… ses grands yeux gris voilés par une inquiétude constante… les pupilles dilatées par les neuroleptiques ».

Mais – protocole essai-erreur, proposé par Samira Sedira, vaille que vaille, et contre vents et probabilités médicales – la fille revient chez ses parents, en août étouffant des banlieues. Comme si, à bien 45 ans passés, elle relisait le livre, refaisait le récit en retrouvant ce creux de l’enfance, la sienne, encore tapie, tiède, dans les mémoires des autres membres de sa famille. Boucle quasi psychanalytique ; bricolage qui en vaudra – peut-être – d’autres.

Majda en Août… On croise les doigts.

 

Martine L Petauton

 


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A propos de l'écrivain

Samira Sedira

 

Samira Sedira née en Algérie en 1964 ; comédienne, ayant expérimenté le chômage et le métier de femme de ménage (L’odeur des planches, au Rouergue, a été joué au théâtre par Sandrine Bonnaire).

 

A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)