C’est celle que je connais le mieux, et pour moi la plus belle. Elle semble se plaire entre mes mains qu’elle ne quitte pas, me dis-je en souriant. J’ai demandé à la prendre sur la petite table basse près d’une bougie éteinte et caresse sa couverture, entrouvre la tranche pour glisser un œil au petit bonheur vers les planches d’enluminures familières, me laisse aller à quelques mots sur sa place dans une maison. Magda semble surprise ; je lui dis que j’ai moi aussi possédé une Bible Osty. Elle m’était chère. Je priais souvent sur elle, en relisais des passages pendant mes années pieuses. Un de mes trop nombreux déménagements m’en a séparé. Fauchée ou bien égarée, jamais su. Je ne m’en suis jamais racheté une, par tiédeur sans doute, peut-être aussi par attachement nostalgique à l’exemplaire d’alors. Magda a trop de finesse pour ne rien deviner de ce nouveau coup de foudre pour une Bible perdue par Bible interposée. Elle m’observe, à la fois grave et amusée. Il reste un fond de whisky dans son verre, le troisième si je compte bien. Pour moi, j’ai dit stop au deuxième, histoire de ne pas trop perdre en lucidité. Elle tient le sien dans sa main gauche, le fait un peu tourner, songeuse, penchant vers lui un visage marqué. De l’autre, elle porte à ses lèvres une nouvelle Stuyvesant rouge dont elle tire de souples bouffées. Ses mains tremblent par moments. Je me suis tu, prêt à continuer à l’écouter sur ce qu’elle voudra, le Livre, les livres, la vie, son couple avec Michaël (les belles années ou ce qu’au téléphone elle a appelé la débandade, la fin), que sais-je encore ; prêt aussi à partager son silence, n’étant pas venu pour l’interviewer mais pour la revoir.