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Critiques

Le Sentiment du fer, Jean-Philippe Jaworski (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 09 Mars 2022. , dans Critiques, Les Livres, Science-fiction, La Une Livres, Nouvelles, Folio (Gallimard)

Le Sentiment du fer, Jean-Philippe Jaworski, février 2022, 272 pages, 7,60 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Dans la préface au présent recueil de nouvelles, Jaworski cite et complète Tolkien proclamant que « la fantasy est une littérature d’évasion, non de fuite ; c’est également une littérature de la consolation, c’est-à-dire un havre imaginaire qui permet de se réenchanter avant de revenir se frotter à l’ennui, aux tracas et aux épreuves du quotidien ». On ne saurait mieux dire. Certes, la fantasy n’est pas un genre littérairement reconnu, et nul doute que d’aucuns la regardent avec mépris, préférant lire « ce qu’il faut », uniquement du sérieux, du didactique, du « qui parle du monde d’aujourd’hui » (ou d’hier, pour donner une leçon à aujourd’hui). À ceci près que la fantasy est un haut lieu de création – on y reviendra – ainsi qu’un genre, qui malgré qu’une partie de la production est clairement de type industriel, dans lequel on rencontre de belles histoires humaines, avec des valeurs transcendantes et des questionnements qui, présentés hors toute lourdeur démonstrative, ont peut-être plus de profondeur que celles présentées dans la littérature « sérieuse » – quiconque a un jour lu le cycle de Lyonesse (Jack Vance) ou celui de L’Assassin royal (Robin Hobb) comprendra – les autres gagneraient à les lire.

Tallien, une brève histoire d’amour, Frederic Tuten (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 08 Mars 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Stock

Tallien, une brève histoire d’amour (Tallien, A Brief Romance, 1988), trad. américain Pierre Girard, 162 pages . Ecrivain(s): Frederic Tuten Edition: Stock

 

Faire sourire avec une des tragédies de l’Histoire, Frederic Tuten l’avait déjà fait une quinzaine d’années avant ce roman, dans Les aventures de Mao pendant la Longue Marche. Cette fois, c’est la Révolution française qui sert de cadre principal à ce roman, certes souriant mais aussi, paradoxalement, terrible. Le déplacement de la réalité historique vers la fiction permet de rendre légers et drôles certains événements mais, comme un bruit de fond, la tragédie de l’Histoire résonne avec son lot d’effroi – de Terreur au sens du terme en 1792.

Le narrateur de cette fiction (Frederic Tuten prend bien soin de nous dire qu’il a pris ses aises avec la rigueur historique), homme du XXème siècle récent, a été nourri au biberon de la révolution par un père révolutionnaire convaincu, né dans le Sud profond, et dont l’hymne est L’Internationale. Et, il faut le dire, haut en couleurs ! Peut-être Tuten a-t-il pensé au personnage de grand-père Gant dans Look Homeward Angel de Thomas Wolfe ? Héros quasi mythique de son jeune fils, le papa est un personnage tonitruant, bouillant, et surtout… socialiste ! Mais attention, pas marxiste dit-il sur son lit de mort.

Pasolini, René de Ceccatty (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 08 Mars 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Biographie, Folio (Gallimard)

Pasolini, René de Ceccatty, Folio, 320 pages . Ecrivain(s): René de Ceccatty Edition: Folio (Gallimard)

 

Un essai éblouissant d’intelligence critique et sensible

Noguez le disait déjà, devant analyser en philologue rompu à l’exercice difficile d’admiration critique, lorsqu’il l’évoqua dans les Dossiers du cinéma (Casterman), en 1969-1970), l’œuvre de Pasolini est double, sous le sceau, la bannière du « centaure », figure mythologique de l’ambivalence.

De Ceccatty, traducteur invétéré de huit volumes pasoliniens, était évidemment le mieux placé pour brosser, non en grandes lignes, mais en essais chapitrés de sens (pour le philosophe ; pour le traducteur-accompagnateur des œuvres d’autrui – Barbedette, Violette Leduc, Sibilla Aleramo, Moravia, Callas, Penna, etc. Pour le critique du Monde et des mondes italiques), l’œuvre et le parcours pasolinien, de Bologne à Ostie, de Ramuscello (la première station du martyrologue) à Salo. De 1922 à 1975.

Disputes au sommet, Ismail Kadaré (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Lundi, 07 Mars 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays de l'Est, Récits, Fayard, Histoire

Disputes au sommet, janvier 2022, trad. albanais, Tedi Papavrami, 216 pages, 19 € . Ecrivain(s): Ismail Kadaré Edition: Fayard

 

Le sous-titre Investigations définit précisément le contenu et le dessein de cet ouvrage de l’écrivain albanais pressenti à plusieurs reprises pour le Nobel de littérature, ce à quoi il est fait allusion de façon récurrente dans le fil de ce récit, cette potentialité, qui lui a valu quelques tracasseries de la part des autorités de son pays, ayant un rapport étroit avec « l’affaire ».

« L’affaire » en question, sujet passionnant, présenté comme unique préoccupation de cette œuvre singulière de Kadaré, n’est autre qu’un entretien téléphonique de trois minutes ayant eu lieu en juin 1934 entre Staline et Pasternak à propos de l’arrestation de Mandelstam.

L’auteur analyse l’une après l’autre pas moins de treize versions peu ou prou connues de cette conversation, chacune rapportée tantôt par des témoins directs ou présupposés, ou se prétendant tels, tantôt par des protagonistes évoluant dans la sphère politico-littéraire entourant Pasternak et Mandelstam.

« Des treize versions que je possédais, chacune tentait, solitaire et butée, de livrer la vérité ».

Dans la tanière du tigre, Nicolas Idier (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 04 Mars 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Stock

Dans la tanière du tigre, janvier 2022, 300 pages, 20 € . Ecrivain(s): Nicolas Idier Edition: Stock

 

« Reclus dans ma chambre de luxe, avec son ventilateur au plafond digne d’India Song de Marguerite Duras, je sens cette vibration permanente que rien n’arrête. Immobile, séquestré dans un palace, à l’agonie, j’intègre Delhi à mon système nerveux. Le virus de la ville est inoculé. Je me sens capable de sortir d’ici ».

Depuis le premier février, nous sommes entrés dans le Nouvel An Chinois et dans l’année du Tigre d’Eau. Un Tigre plus sage que les autres Tigres de l’astrologie chinoise, mais tout aussi fort, associé à l’eau, il annonce une année de transformations, de maturité et de profondes émotions. Le nouveau roman de Nicolas Idier est à sa manière un Tigre d’eau. La tanière où se glisse cet impressionnant roman d’émotions profondes, n’est pas chinoise mais indienne, mais les Tigres y règnent. C’est une Inde en feu que découvre le diplomate, il y marche sur les traces des grands écrivains voyageurs, qui s’éprennent de la vie qu’ils découvrent, tout en témoignant des horreurs qui assombrissent leur ciel. Un feu alimenté par le nationalisme électrisant de Narendra Modi, qualifié de « boucher de Gujarat » où des indouistes fondamentalistes ont massacré plusieurs centaines de musulmans en représailles à l’incendie criminel d’un train de pèlerins hindous.