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Critiques

Cachées par la forêt, Éric Dussert (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 02 Avril 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, La Table Ronde

Cachées par la forêt, octobre 2018, 576 pages, 22 € . Ecrivain(s): Éric Dussert Edition: La Table Ronde

 

Ce livre qui rend hommage à des écrivaines oubliées par le monde des lettres ou introuvables en librairie prend la forme d’un véritable dictionnaire chronologique de ces femmes talentueuses que de nombreuses circonstances ont « cachées » du parcours régulier, à l’ombre de grands noms ou de personnalités qui se sont mises en avant.

De Ono No Komachi (825-900) à Emma Dante (1967), l’essayiste dresse un beau bilan de noms à sauver de l’oubli même si la sentence qui clôt nombre de notices s’intitule « Aucun livre de * n’est disponible ».

Beaucoup de découvertes, et aussi plusieurs noms qui sonnent leur reconnaissance, je n’en veux pour preuves que ceux d’Inès Cagnati, de Grazia Deledda, de Marguerite Audoux, de Christiane Rochefort. Les auteures du Jour de congé ou des Petits enfants du siècle sont de nouveau éclairées et ce n’est que justice.

La Vie lente, Abdellah Taïa (par Arnaud Genon)

Ecrit par Arnaud Genon , le Lundi, 01 Avril 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Seuil

La Vie lente, mars 2019, 272 pages, 18 € . Ecrivain(s): Abdellah Taïa Edition: Seuil

Voilà bientôt vingt ans qu’Abdellah Taïa publie des livres. Patiemment, il construit une œuvre forte, cohérente, qui tourne toute entière autour de la question de la rencontre du monde arabe et de l’Occident, de leur histoire réciproque, de leur avenir incertain. Partant d’un « je », de son « je », celui d’un homosexuel marocain ayant grandi dans le quartier pauvre de Hay Salam, à Salé, à côté de Rabat, Abdellah Taïa mène son œuvre vers un « nous », donnant la parole à tous les exclus, à ceux que la société méprise et bâillonne, où qu’ils soient, d’où qu’ils viennent.

Dans La Vie lente, son nouveau livre, cette rencontre s’incarne à travers les deux personnages principaux que sont Mounir Rochdi, marocain homosexuel de quarante ans, et Madame Marty, une octogénaire vivant seule dans le Paris post attentats de 2015. Lui, il a quitté son pays dans lequel, adolescent, il avait été « persécuté par des hommes hétérosexuels affamés de sexe », et a obtenu en France « un doctorat sur Fragonard et le roman libertin au XVIIIe siècle ». Elle, c’est une « pauvre française qui survit depuis les années 1970 dans un studio de 14 mètres carrés ». Plus jeune elle avait travaillé pour une famille bourgeoise du 7e arrondissement puis avait préféré rester à Paris plutôt que d’aller s’enterrer en Ardèche avec son mari et son fils. Elle s’était ensuite installée à Barbès où vivent les gens pauvres.

Au petit bonheur la brousse, Nétonon Noël Ndjékéry (par Cathy Garcia)

Ecrit par Cathy Garcia , le Vendredi, 29 Mars 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Au petit bonheur la brousse, éditions Hélice Hélas, coll. Mycélium mi-raisin, mars 2019, 380 pages, 24 € . Ecrivain(s): Nétonon Noël Ndjékéry

 

 

Une noria de nuits au pelage léopard accoucha de dizaines de soleils qui, l’un après l’autre, pyrogravèrent le ciel de part en part sans y laisser le moindre sillon.

Au petit bonheur la brousse est un roman dense, consistant, aussi savoureux que désespérément tragique, qui tisse un lien improbable entre une Helvétie paisible, fraîche et ordonnée, lisse et impeccable comme un livre d’images et un pays en sueur, chaotique, déchiqueté par la violence, la corruption, la cupidité, l’injustice et le mensonge. Bel héritage postcolonial entretenu par Didi Salman Dada, alias L’Autre-là, président agrippé au trône depuis presque cinquante ans et qui « pouvait dormir sur ses deux oreilles tant qu’il continuerait à brader l’or noir tchadien à ses parents occidentaux ».

Inventer les couleurs, Gilles Paris (par Christelle Brocard)

, le Vendredi, 29 Mars 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Jeunesse, Gallimard Jeunesse

Inventer les couleurs, mars 2019, ill. Aline Zalko, 48 pages, 11,90 € . Ecrivain(s): Gilles Paris Edition: Gallimard Jeunesse

 

Empêtré dans la grisaille de son quotidien, l’adulte atrophie le monde qui l’entoure. Peu enclin aux rêves et à la fantaisie, les couleurs sont pour lui uniquement celles de la réalité : « Mais les feuilles des arbres sont vertes, Hippo. La mer est bleue et le soleil jaune ». Mais le petit Hyppolite est loin d’être un ahuri. Il a parfaitement observé que les visages de Fatou et de Firmin sont noirs, ceux des jumelles Chan et Cui, jaunes, et ceux d’Abdallah et Antar, café au lait. Aussi ignore-t-il cette remarque condescendante de Jérôme, l’animateur du service de l’Enfance de la Ville, tout en faisant preuve d’une empathie profonde et clairvoyante à son égard. Après tout, ce dernier vit seul, une vie sans couleur, au douzième étage d’un immeuble, tout au fond d’un couloir, avec un chien pas à lui qui pisse sur son paillasson. L’existence d’Hyppolite n’a pourtant rien d’un conte de fées : sa mère est partie avec le père de son meilleur ami, il s’acquitte de tous les devoirs domestiques que son propre père, noyé dans le chagrin et la bière, n’est depuis longtemps plus en mesure d’assumer : « A chaque fois, je bondis hors de mon lit, je lui prépare son café, un peu grognon d’être debout, les cheveux coiffés par le vent du sommeil. Je prends un sac plastique et j’y mets toutes les canettes mortes et le contenu de son cendrier qui déborde de partout ». Pas étonnant qu’il s’endorme en classe et se retrouve chez le directeur.

Réservoir 13, Jon McGregor (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 28 Mars 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Christian Bourgois

Réservoir 13, janvier 2019, trad. anglais Christine Laferrière, 348 pages, 22 € . Ecrivain(s): Jon McGregor Edition: Christian Bourgois

 

Jon McGregor nous projette, dans son dernier roman, dans un univers où temps et espace constituent la scansion, la matière même de la narration. 13. 13 ans. 13 réservoirs (réservoirs de la retenue d’eau qui a inondé l’ancien village). 13 chapitres.

Une narration comme nulle autre, énoncée dans un rythme époustouflant et qui relève d’un regard panoptique de chaque instant. Les faits, les personnages, les lieux, les éléments naturels qui leur font écrin (faune, flore, saisons) sont tricotés dans une maille serrée qui tisse une histoire dans laquelle le lecteur se fait auditeur. Pas spectateur. On dit de certains romans qu’ils sont très cinématographiques. Réservoir 13 serait impossible à mettre en scène sauf à se livrer à un montage de fou furieux, haché comme de la chair à saucisse. S’il faut lui trouver un support autre que le livre, ce serait plutôt un roman radiophonique où l’auditeur serait invité à entendre la vie des gens d’une bourgade rurale du centre de l’Angleterre.