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Chroniques régulières

Hommage à la revue Europe

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mercredi, 06 Mai 2015. , dans Chroniques régulières, Les Chroniques, La Une CED

 

« Il faut saluer […] l’entreprise éditoriale d’Europe » qui, dans ses numéros, « allie tout à la fois création dans sa plus haute intensité et exégèses plus ou moins libres, c’est-à-dire plus ou moins affirmées dans une non-distanciation épousant la singularité et l’émotion – paraissant suivant les entrelacs du style – de leur auteur, exégèses créatrices qui ont pour vocation d’élucider notre rapport aux œuvres, souvent contemporaines, en l’approfondissant considérablement », écrivions-nous en juillet 2011 dans Terre à ciel, et cela reste, bien évidemment, vrai.

Alors qu’Europe a passé il y a peu le cap de son 1000e numéro, il nous paraît opportun de lui rendre ici hommage.

« [A]vant-garde de l’hospitalité », elle est promesse à chaque numéro d’éblouissements durables. Nous invitant à cheminer en son sein, dans l’ordre qui sied à notre rêverie, au hasard, à nos attentes. A cet égard, Europe s’affirme bien véritablement, mois après mois, année après année, comme une revue, dans le sens le plus abouti, le plus incandescent du terme. Comme l’écrit bellement Jean-Baptiste Para en ouverture du 1000e numéro, « une revue peut à certains égards se comparer à un bouquet – l’ikebana japonais ? –, lequel n’est pas une addition d’unités florales mais une composition. Il s’en dégage une forme et un esprit d’ensemble.

MAY B. ou M comme Maguy Marin et B comme Beckett

Ecrit par Marie du Crest , le Lundi, 27 Avril 2015. , dans Chroniques régulières, Les Chroniques, La Une CED

Reprise du spectacle de Maguy Marin au Ramdam à Sainte Foy les Lyon du 7 au 11 avril 2015

A Christian Verdier

 

Dans une menuiserie désaffectée, transformée en plateau, salle de spectacle et centre de création par Maguy Marin, perdue dans ce qui reste de campagne autour de Lyon, dix personnages, cinq femmes et cinq hommes, alors que la nuit n’est pas encore tombée et que la lumière du jour traverse encore les verrières, attendent immobiles et silencieux, solitaires, ou en petits groupes. Qui sont-ils, ces êtres sans âge, ces loqueteux poussiéreux, au corps, et vêtements plâtreux ? Au regard charbonneux pour certains. Des danseurs de buto, à la peau blanchie ? Des mimes que le langage a oublié ? Des couples dérisoires embarqués dans la valse de la fête foraine ? Des modèles d’un sculpteur absent, cachés sous du chiffon, des esquisses ? Ils attendent que le mouvement, la danse les emporte. Ils sont entre ce qui a fini déjà, et sera enfin fini. Ils recherchent les mots, la musique et le geste de la marche, celle des sculptures de Giacometti. Coup de sifflet impérieux et ils se mettent à bouger.

Deux livres à peine lus : textes et prétextes par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Jeudi, 23 Avril 2015. , dans Chroniques régulières, Les Chroniques, La Une CED

 

Le pays des deux livres. L’un dicté par le ciel, l’autre dicté par une chaise. Celui du ciel est connu, dit, répété, psalmodié, mal compris, pas compris, imposé, détourné comme un avion, précipité sur les gratte-ciels ou les femmes ou les individus ou les libertés. Le livre du ciel ne sert pas, à certains, à éclairer le monde mais à le brûler, désormais.

Il suffit de regarder l’actualité : premier autodafé inversé de l’histoire : on use d’un livre pour brûler le monde, pas le contraire. Son premier mot est « Lis » depuis l’éternité prononcée. Parce que le désastre de l’analphabétisme semble être intemporel dans nos géographies : il fallait l’intervention d’un Dieu pour pousser les gens à lire !

Et cela semble n’avoir pas suffi quand on regarde Daech, El Qaïda, la campagne contre Benyounes ou le retour du FIS et la tenue du Sultan de l’AIS qui a avoué un meurtre à la télé sans faire bouger personne, sauf Ouyahia qui lui a servi du thé.

Le second livre, celui dicté par la chaise, est la Constitution. Femme violée, livrée, piétinée, semelle votée, loi fondée et dévergondée. A quoi cela sert une constitution dans les pays dits « arabes » ? A rire jaune puis à faire semblant de lire.

Le sort fait aux femmes révèle la liste des peuples maudits (Kamel Daoud)

Ecrit par Kamel Daoud , le Jeudi, 16 Avril 2015. , dans Chroniques régulières, Les Chroniques, La Une CED

 

 

Farkhunda. Le prénom, presque, d’une terre. Ou d’un royaume ? Ou d’une légende ? C’est le prénom de la femme afghane lynchée par la foule, filmée, puis jetée au fleuve Kaboul, dépecée et brulée, il y a une semaine. Il fallait voir ces images sur Internet : des policiers qui se croisent les bras, un Afghan qui filme, une meute qui s’acharne sur une masse sombre : la femme accusée d’avoir brûlé un coran. A un moment, un homme arrive et se met à la frapper avec un seau. Un autre avec une planche. Poussière. Atroce. Sentiment de terreur et de honte.

Plus tard, quand retombera la poussière, le ministère afghan de l’Intérieur précisera qu’elle n’était coupable de rien : ni d’avoir brûlé, ou piétiné ou déchiré un Coran. Juste d’avoir été une femme. Farkhunda. On tente d’imaginer ses derniers moments, sa douleur sous le piétinement, ses cris, sa sombre solitude.

Je vous construis le paradis ! par Amin Zaoui

Ecrit par Amin Zaoui , le Mercredi, 15 Avril 2015. , dans Chroniques régulières, Les Chroniques, La Une CED

 

Aujourd’hui, j’ai décidé de construire le paradis. Et pour construire le paradis, un vrai paradis, il faut avoir les ingrédients adéquats et nécessaires : humains, angéliques, diaboliques, matériels et textuels. Parce que je l’ai toujours imaginé en forme d’une vaste et riche bibliothèque, donc pour ériger le paradis, le vrai paradis, il me faut des livres, beaucoup de livres humains et divins. Les meilleurs livres de tous les siècles et de tous les Cieux. Des livres dans toutes les langues. Même ceux écrits dans les langues des oiseaux. Dans toutes les disciplines et dans toutes les indisciplines ! Et beaucoup de manuscrits ornés et calligraphiés par les plus grands maîtres du calame à l’image d’El Wassiti et Ibn Moqla.

La bibliothèque, même avec ses milliers de livres et manuscrits, sans la présence des poètes, elle n’est qu’espace mort. Mausolée abandonné. Donc j’ai décidé d’inviter les poètes pour occuper mon Éden. J’ai établi une liste des meilleurs faiseurs de mots ou de papillons. Je les ai classés par ordre de mérite c’est-à-dire par ordre de malédiction. La « malédiction poétique » est un critère littéraire déterminant dans mon choix. Et parce que le paradis est un espace de liberté, j’ai laissé la liste ouverte.