Zombi, Joyce Carol Oates
Zombi. Stock La Cosmopolite – 216 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Joyce Carol Oates Edition: StockDans la tête d’un monstre. Dans la tête d’un serial killer. Dans Zombi (déjà sorti en 1997 en France et réédité cette année) il ne s’agit pas de l’un de ces tueurs « cools », à la Patrick Bateman d’American Psycho, ou diablement retors, suprêmement intelligent, comme le cannibale Hannibal Lecter du Silence des agneaux. C’est dans la tête d’un malade mental, au véritable sens du terme, que l’on est invité. Et d’un pauvre gars, il faut bien le dire.
Pour écrire Zombi, plongée à la première personne dans quelques mois de la vie d’un serial killer, Joyce Carol Oates s’est inspiré du cas Jeffrey Dahmer, prénommé ici Quentin, ou Q… P… (Pour prolonger la lecture, ou la préparer, on pourra se reporter au chapitre que consacre Stéphane Bourgoin à Jeffrey Dahmer dans son très réussi Livre Noir des serials killers, paru chez Points).
Quelque temps plus tôt, Quentin a été accusé d’agression sexuelle sur un mineur. Une agression à laquelle ne veulent pas croire ses parents, mais aussi sa grand-mère qui le prend pour le plus parfait des petits-fils.
Mais ils se font berner. Si Quentin s’est fait pincer pour agression sexuelle, le lecteur soupçonne qu’il a commis bien plus grave, mais surtout qu’il envisage de faire bien plus grave. Car une idée lui est venue.
« C’est il y a cinq ans que l’idée de créer un ZOMBI à mes propres fins m’est venue pour la première fois comme un coup de tonnerre qui a changé ma vie. »
Pour Quentin, un zombi, c’est un homme, forcément un homme, qui lui sera entièrement asservi et dont il pourra disposer à sa guise.
« Un vrai ZOMBI serait à moi pour toujours. Il obéirait à tous les ordres & les caprices. En disant « Oui, maître » & « Non, maître ». Il s’agenouillerait devant moi les yeux levés en disant : « Je t’aime, maître, il n’y a que toi, maître. »
[…] Un ZOMBI dirait : « Dieu te bénisse, maître. » Il dirait : « Tu es bon, maître. Tu es généreux & miséricordieux. » Il dirait : « Encule-moi à me défoncer les boyaux, maître. » Il mendierait sa nourriture & il mendierait l’air qu’il respire. Il mendierait la permission d’aller aux toilettes pour ne pas souiller ses vêtements. Il serait toujours respectueux. Jamais il ne rirait ni ne ricanerait ni ne froncerait le nez de dégoût. Il lécherait avec sa langue comme demandé. Il poserait la tête sur mon épaule comme demandé. Il ferait l’ours en peluche comme demandé. Il poserait sa tête sur mon épaule comme un bébé. Ou je poserais ma tête sur son épaule comme un bébé. »
Comment compte-t-il s’y prendre ? Quentin en est venu à croire que la lobotomie transorbitale était le meilleur moyen de procéder. Il lui « suffirait » de lui enfoncer un pic à glace dans l’œil d’un homme pour atteindre une partie du cerveau qui réduirait nombre de ses facultés.
Acheter un pic à glace excite très fortement Quentin. A peine l’a-t-il dans ses mains qu’il éjacule dans son pantalon. Le crime a toujours un caractère extrêmement sexuel chez Quentin. S’il y a sang, il y a aussi forcément sperme aussi.
Sa première tentative de transformer un homme en zombi se solde par un échec. Mais Quentin ne s’inquiète pas, il va recommencer et il recommencera jusqu’à parvenir au résultat escompté.
Zombi n’est pas un beau livre. C’est un livre sale qui fait froid dans le dos.
Si Quentin tue, c’est parce qu’il ne peut pas faire autrement. Il est prisonnier de ses pulsions et il n’a aucun moyen de leur échapper, d’autant plus quand il ne prend pas ses médicaments…
Contrairement à nombre d’ouvrages qui mettent en scène un tueur en série, ce n’est pas un thriller que signe Joyce Carol Oates. Son livre est un cas clinique. Une plongée dans le cerveau d’un fou. Une plongée en apnée. Grâce à une série de chapitres courts, l’auteur ne laisse pas à son lecteur le temps de reprendre son souffle. Elle le laisse la tête plongée dans l’eau en lui assénant une série de coups de poings en sus.
Joyce Carol Oates ne donne pas d’explication. On ne sait pas pour quelles raisons Quentin est ce qu’il est, mais peut-être parce qu’il ne le sait pas non plus lui-même puisque le récit est mené à la première personne. Il n’est pas dans l’analyse, il est dans l’action. Zombi est un roman comportementaliste.
Et au fond, Joyce Carol Oates ajoute la forme, elle se montre inventive dans l’écriture pour essayer de retranscrire le chaos qui règne dans la tête de Quentin, en recourant par exemple à l’esperluette au lieu du « et », ou avec des phrases courtes et saccadées, ou bien encore en ajoutant nombre de dessins.
Paul Martell
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