Zoartoïste (suivi de Contes Défaits en Forme de Liste de Courses), Catherine Gil Alcala
Zoartoïste (suivi de Contes Défaits en Forme de Liste de Courses), éd. La Maison Brûlée, 2016, 136 pages, 15 €
Ecrivain(s): Catherine Gil AlcalaThéâtre et poésie, théâtre poétique et poésie théâtrale, il faut ici lâcher la rive du connu. Certains renonceront de suite, d’autres oseront plonger au cœur du maelström. Ce n’est pas de lire, qu’il s’agit ici, mais d’expérimenter un état de conscience éclatée, une transe, un démembrement de la raison, qui nous culbutent. Manipulant dans son grand chaudron – visions, rêves, mythes et symboles, qu’elle touille comme prise de démence, Catherine Gil Alcala convoque la magie des mots pour pulvériser le réel et nous faire voir à travers le miroir ce qui est de l’ordre – ou plutôt du désordre – du grand chaos universel. Pythie au verbe noir et flamboyant, elle pousse les mots à leur paroxysme pour nous faire basculer de l’autre côté, du côté du grand rire salvateur, où rien n’est sérieux, tout est primordial.
Et chaque scène se nomme d’ailleurs non pas scène, mais miroir.
L’onde radiophonique qui traverse l’univers, Grand négateur limonade, Le Mort, Les fils de l’orage, Maman tintamarre, Samsara bondissant, Le jongleur dans l’horloge, Les mantras du vent, sont quelques-uns des personnages de ce théâtre fou. Fous comme peuvent l’être les Clowns sacrés.
Et Zoartoïste au centre du théâtre déclare :
« Les paroles innommables clouent des sortilèges dans le ciel.
Des nations en marche me piétinent sur la pointe des pieds en remontant leur montre dans un battement de cœur synchronisé.
(…)
Je tourbillonne dans les vents qui font rouler la roue de toutes les vies… allant et venant du sentiment océanique à la déréliction du vieillard et du nouveau-né dans l’intimité glaciale de la mort… ».
Zoartoïste et on entend aussitôt zoo, art, taoïste, Zohar même mais aussi Artaud.
« Zoartoïste… prononce une voix de noyé dans un rêve, c’est le nom d’une divinité animale du monde archaïque ou d’un démiurge industrieux dans la dent creuse d’une caverne tellurique ».
Et Les Fils de l’Orage, quand ils s’adressent au Mort, lui disent :
« L’écho du tonnerre retentit, les enfants jouent le rite tape-pierre de l’orage.
La fin et le début du temps s’enroulent et se déroulent simultanément sur l’axe des pôles.
Un sifflement sourd tout le jour t’enfonce sous la terre des ancêtres.
(…)
Une jouissance t’étrangle, la peur de ta propre annihilation, comme une amante jalouse, t’embrasse trop fort ».
Le texte gicle comme un fruit mûr, parfois même au bord de la décomposition, riche de ses sucs, parfois poisseux et toujours enivrants, hallucinatoires.
Quand La Femme déracinée parle, elle raconte :
« Le soleil se lève sur la sidération du paysage dévasté, les rats et les goules aux dents longues accourent au dîner des cendres.
(…)
Je suis devenue une âme errante au corps de nuage, je rencontre tour à tour chacun des esprits qui zozotent en dansant sur le fil de la nuit, mes amis sont les oiseaux-mouches et tous les êtres minuscules ».
Et la Tête coupée révèle :
« La plage blanche silencieuse de l’état mental parle à travers la bouche ouverte des poissons… quelque chose a été oublié au fond de la mer pendant la traversée des morts… ».
L’Agonisant lui a jeté les clés de sa maison dans le puits et a mis ses lunettes noires pour aller se promener tout le long de la nuit. L’Onde Radiophonique qui traverse l’univers dit qu’il est possédé et que « mille minutes saoules tournent à l’envers ». Baron Kriminel bat les cartes et les vévés coulent des doigts des esprits.
Celui qui en sait un peu sur le vaudou reconnaîtra sans doute le Baron Samedi avec son chapeau haut de forme.
Et d’ailleurs, Catherine Gil Alcala n’est-elle pas un peu possédée aussi par toutes ces voix, qu’elle convoque d’un tour de plume ?
« Nuage cheval, ton galop glisse, icône hallucinée… »
Lecteur, pour lire ce livre, mieux vaut déposer en entrant, ta raison dans la benne aux encombrants. La comédienne-poète-chamane t’invite dans un grand jeu sacré. Rite des morts et des renaissances, Le Jeu de l’Univers.
Cathy Garcia
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