Zao, un mari, Myriam Dao (par Yasmina Mahdi)
Zao, un mari, Myriam Dao, parution le 12 janvier 2023, 13 €
Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque
Les projets de voyages, le montant exorbitant de la dernière facture d’électricité, le prix des mangues chez Grand frais, l’ordonnance à renouveler, les clients de mon père qui demandent des produits sans gluten, les points de retraite de Maman…
[…]
Je le laisse se reposer. Il est fatigué d’avoir traîné sa valise, son coffre aux mille trésors qu’il a porté de Saïgon jusqu’au Cambodge, du Cambodge jusqu’à la jungle thaïlandaise, des tours miteuses du XIIIe arrondissement jusqu’à notre maison de Hayange. Il me le donne et, avec lui, le poids de son histoire, son héritage, mon héritage. Le plus beau qui soit.
Émilie Tôn, Des rêves d’or et d’acier
Trente glorieuses
Myriam Dao, dans son premier roman, Zao, un mari, qualifie de « couple fautif » les deux protagonistes qu’elle met en scène, dont l’un est perdant, Zao, riche vietnamien de l’époque coloniale, contraint par sa famille à s’exiler à Paris car marié à une française pauvre, qui se détache progressivement de l’époux étranger. L’autrice dévoile peu à peu, dans des morceaux très condensés, les moments de complicité du couple mixte, de leur jeunesse, jusqu’au délitement de leur ménage. L’on avance pas à pas à travers cette union singulière, un fait assez rare - un couple mixte franco-asiatique dans les années 60 -, au sein d’une époque coloniale dont les ressortissants se heurtaient à la mise à l’écart et au rejet. L’épouse se trouve sous la tutelle du chef de famille, et tente de s’affranchir.
De cette union disparate naît d’abord une petite fille, et les dissensions éclatent entre Zao, fin et cultivé, politisé, et l’épouse, peu instruite. Ce roman retrace-t-il le parcours des propres parents de l’auteure, leurs contradictions ? Ceci dit, Myriam Dao pointe le problème de « l’assimilation », - c’est-à-dire la perte d’identité, l’incompatibilité des origines et les conflits que ces oppositions engendrent. L’autrice approfondit les caractères de ces deux protagonistes à l’opposé, esseulés, spectatrice de la lente décomposition de leur mariage. Ils s’animent sous sa plume, la mère usant d’un langage familier, populaire, le père, francophone, s’exprimant dans un langage châtié : « Il ne reconnaissait plus dans cette femme ordinaire la finesse de la jeune fille qui l’avait bouleversé là-bas ». Or, en dépit de la propagande de « la maternité heureuse », l’épouse de Zao se sent comme une femme au foyer, minorée.
C’est également le portrait historique de l’ancienne Indochine, avant la guerre du Viet Nam, où la population fournissait des « boys » au service d’Européens cupides et exploiteurs. Les injures réitérées, le racisme, les humiliations et les rapports de force sont le lot quotidien de Zao, le colonisé ; lors de l’exercice de son travail, dans les lieux publics ou privés. L’écriture de Myriam Dao se construit par incises, ce qui crée une écriture de la digression car elle se désolidarise de la grande Histoire pour parler d’autre chose. Et c’est en cela qu’elle valorise une force de subversion. Sa communication est liée à l’image et au courrier. Le texte semble comme prélevé d’un carnet de notes ou d’un journal. Les temps sont souvent à l’imparfait et au plus-que-parfait, marquant ainsi la distance d’avec le passé, où ici et là, quelques réponses rédigées en italique forment le secret, les non-dits du couple.
Les trente glorieuses, souvent présentées comme un paradis d’aisance matérielle et financière facile, ne correspondent pas vraiment au tableau de Myriam Dao, notamment en ce qui concerne « un indigène ». Les phénomènes de prédation des oligarchies des pays développés ont rendu fortement inéquitables les revenus des habitants des pays en voie de développement (et relatifs ceux des Français). Sur le plan social, le roman en rend largement compte, l’on assiste à un affaiblissement de la solidarité familiale et du lien social. Des éclairs-souvenirs crépitent, soudains, dans une sorte de version scénaristique, peut-être des flèches sortant des cendres du passé de Myriam Dao elle-même ? Photogrammes placés sur la peau, enregistrés, ils criblent le texte.
Le colonisé, uni à une européenne qui donne naissance à une eurasienne est le deuxième sujet fort de ce livre-témoignage à la narration manifeste.
Yasmina Mahdi
Myriam Dao, artiste-chercheuse, diplômée d’architecture, est née en 1963 à Paris. Elle a enseigné le design de sites Web à Sciences Po, les arts plastiques en Zone d’éducation prioritaire, et publié dans des ouvrages collectifs universitaires et des magazines d’art contemporain.
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