Voyage du côté de chez moi, Jean-Luc Muscat (par Gilles Banderier)
Voyage du côté de chez moi, février 2019, 88 pages, 10 €
Ecrivain(s): Jean-Luc Muscat Edition: Le Mot et le Reste
Au milieu d’une production littéraire, quoi qu’on en dise, de plus en plus calibrée et obéissant à un cahier des charges imposé par on ne sait exactement qui, il arrive que des éditeurs discrets (l’expression « petits éditeurs » ne rend pas compte de leur rôle important : après tout, eux seuls prennent des risques en sortant des sentiers battus) fassent paraître des titres dignes de retenir l’attention. C’est le cas de la maison marseillaise, Le Mot et le Reste, avec ce Voyage du côté de chez moi. Dans l’esprit du lecteur lettré, qui connaît ses classiques, ce titre évoque le Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre, admirable texte mineur, si l’on veut, mais qu’on peut relire chaque année sans se lasser. En ce qui le concerne, Jean-Luc Muscat est sorti de sa chambre et même de sa maison. À une époque où les compagnies aériennes à bas prix emmènent leur clientèle à l’autre bout du monde pour un tarif minimal et un inconfort maximal, Muscat s’est satisfait d’utiliser le plus vieux moyen de locomotion qui existe. Si l’on admet qu’après leur apparition en Afrique, les ancêtres des êtres humains ont progressivement colonisé les zones les moins inhospitalières de la planète, ils ne l’ont fait qu’en marchant.
Jean-Luc Muscat est donc parti de « chez lui », quelque part près de Figeac, département du Lot (depuis la Révolution française), province du Quercy (auparavant) ; terre de pierres et de soleil (une minéralité et une lumière qui ne sont pas celles de la Provence), de rivières qui disparaissent sous les montagnes, puis ressurgissent.
« Partir à pied de son lieu d’habitation signifie qu’il n’y a pas de transition entre le bouclage du sac et le premier pas sur le chemin, pas de voiture, aucun train, aucun avion. Point d’intermède, ni anticipation, ni crainte, ni trac. L’immensité du monde est là, l’immensité de la liberté » (p.8).
Dans un pays lacéré par des autoroutes, qui permettent d’aller au plus vite du point A au point B en ne voyant rien, sinon la route elle-même, les autres véhicules et les péages ; dans un pays strié par des voies ferrées à grande vitesse dont les gares se dressent au milieu de nulle part ; dans un pays où, à la mode américaine, les gens qui disposent d’une voiture s’en servent pour parcourir cinquante mètres, le fait de voyager à pied suffit à faire de vous un hurluberlu. Marcher, c’est accepter une part de hasard, de rencontres, d’imprévus heureux ou malheureux (quand on voyage en avion ou par l’autoroute, l’imprévu est en général tragique). Marcher est aussi une manière de réapprendre « l’usage du monde », de se rappeler que ce qui nous entoure n’est pas un hypermarché livré au pillage, un endroit où l’être humain peut faire n’importe quoi (il ne s’en est pas privé), mais un lieu où l’on doit se comporter de manière civilisée, en suivant certains « usages ». Muscat explore à pied des sites à la fois fascinants et mal connus, donc épargnés par le tourisme de masse, lequel contribue à la fois à préserver certains endroits (plus aucun édile n’oserait « moderniser » des villages pittoresques ou des centres anciens, comme cela s’était fait à une époque) et à en rendre la fréquentation pénible. Voyage du côté de chez moi abonde en belles adresses, qu’on aura l’égoïsme de garder pour soi.
L’adjectif « réactionnaire » désigne une catégorie politique dans laquelle il n’est pas sûr que Jean-Luc Muscat se reconnaîtrait. Est en revanche certain le fait qu’il parcourt les vieux villages quercynois avec le sentiment qu’entre l’époque où ils ont été bâtis et aujourd’hui, nous avons perdu quelque chose :
« Quand on observe attentivement le moindre élément qui constitue le milieu agreste du Causse, on constate que tout, au niveau architectural, agricole ou sylvicole, a été réalisé dans le cadre d’une sobriété heureuse et d’un certain sens de l’harmonie, même si cela l’a été par obligation de faire avec ce que l’on possédait sur place. Ce qui est modeste est fait du même esprit que ce qui est somptueux en cette vallée. Ainsi l’humble paysan avait une parenté étroite avec le nanti, une communauté d’esprit qui faisait que chacun était en intimité avec son environnement » (p.68).
Gilles Banderier
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