Vous n’espériez quand même pas un CDD ? de Mathilde Ramadier
Vous n’espériez quand même pas un CDD ? mai 2018, 112 pages, 15 €
Ecrivain(s): Mathilde Ramadier Edition: SeuilJungle managériale
Ce roman graphique porte sur les entretiens d’embauche. Art se transforme en rat, une anagramme qui résume la critique du monde de la presse, de la publicité et de l’informatique. Le tutoiement, la blague facile accompagnent la fausse décontraction, cachant l’horreur du travail à la chaîne sous-payé.
Un langage déshumanisé et absurde sert de mot d’ordre et de mode d’emploi ainsi que des concepts très compliqués pour une visée bien banale, celle de vendre des produits de grande diffusion. Impersonnalité, agression et chantage deviennent le lot quotidien des préliminaires d’embauche. Une simple expertise se transforme en mission et les distributeurs de prospectus en prophètes. Il y a des références religieuses, en cours dans les sectes, des espèces d’initiation à la vente avec des scores à atteindre, des distributions de points pour les plus rentables et des blâmes pour les perdants (les moins compétitifs). Un encadrement drastique de supérieurs hiérarchiques dont on ignore la provenance et les compétences réelles rappelle l’école et son côté punitif, ou pire, les dérives totalitaires.
Des « créatifs » se présentent – une jeune femme qui se trouve face à descontent strategist. Avenir incertain serait le maître-mot de cette bande dessinée et reflète le mal-être d’une génération, l’impasse économique d’une société à la dérive et en pénurie d’emploi. Les prospections et les offres portent sur des produits bas de gamme et sans grand intérêt. La novlangue est véritablement en place, ce qui figurait chez Orwell le cauchemar absolu. Un jargon franglais au vocabulaire restreint est employé à tout bout de champ, découlant de l’inbound marketing, de la stratégie de processus de vente pour « enchanter le client », fruit des entreprises d’éditeurs de logiciels. Un cadre dirigeant exerce un contrôle total sur les jeunes recrues qu’il gère comme des doublons, consommables et jetables.
Cet itinéraire professionnel n’est pas unique et Mathilde Ramadier dénonce les difficultés d’une génération « slasheuse », en réalité des travailleurs multitâches tels les manœuvres du 19è siècle payés à la pièce, mais surdiplômés en 2018. L’emploi de la novlangue masque la réalité économique de la domination de classe, l’exploitation des masses au sein d’une société européenne pyramidale et conservatrice – voir les parcours des dirigeants politiques.
Le trait du dessin est sobre, les signes sont très simples, un graphisme rond illustre le texte structuré et renseigné à propos d’expériences traumatisantes. Bêtes de somme, LOL ?
Yasmina Mahdi
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