Vous êtes nés à la bonne époque, Matthieu Jung
Vous êtes nés à la bonne époque – 224 pages, 17,50 €
Ecrivain(s): Matthieu Jung Edition: StockNathalie est une sorte d’anti-Bridget Jones. Elle a réussi professionnellement. Elle est médecin et propriétaire d’un appartement de 95m2 rue Sedaine à Paris. Elle a eu une fille d’un premier mariage dont elle a réussi l’éducation. Elle est séduisante.
Et pourtant un problème de plus en plus insoluble se pose dans sa vie : elle aimerait avoir un deuxième enfant.
Elle pensait qu’Alain en serait le père, mais ils se sont séparés après six ans de vie commune. Six ans de perdu pour Nathalie, car, à 42 ans, l’horloge biologique tourne, et elle tourne de plus en plus vite.
Ce deuxième enfant devient une obsession.
Un jour, elle rencontre Arno.
Le problème c’est qu’Arno est jeune, la vingtaine, à peu près l’âge de sa fille. Nathalie ne peut pas concevoir d’engager une quelconque aventure avec lui. Mais quelque chose l’attire, irrésistiblement. Elle fréquente de plus en plus souvent le restaurant, le Bar Bouillage, où Arno est serveur en espérant, un jour, peut-être, pouvoir vivre de ses toiles.
Les déjeuners là-bas illuminent cette « désolation lunaire » qu’est devenue sa vie sentimentale, ce« néant amoureux ».
Elle discute beaucoup avec lui. Tout semble si facile. Elle se confie comme elle ne l’avait jamais fait avec personne. C’est la première fois que quelqu’un la comprend si bien et l’écoute. Et pourtant, ce n’est qu’un « gamin ». Elle ne peut pas se résoudre à envisager autre chose qu’une relation amicale. Passer à l’acte ? Certainement pas. Elle a des principes. Mais quels principes au fond ? La différence d’âge ? A-t-elle peur de devenir une cougar ?
Comme dans son précédent opus, le très réussi Principe de précaution (on appréciera notamment le retour remarqué de cet « abominable » Lionel) Matthieu Jung excelle à décrire l’air du temps. Il croque des situations plus vraies que nature. En le lisant, vous vous dites, oui, c’est exactement ça, c’est juste, c’est bien vu. Ses descriptions sont toujours bien senties. L’appartement parisien trop petit d’Arno, un trou à rat loué des fortunes, qui donne à entendre tous les bruits des voisins. Les enfants des quartiers riches gardés par des nounous noires. Les soirées de trentenaires où l’on ne parle que de bébés…
On se croirait dans un film de Claude Sautet, ainsi qu’il le fait dire à son personnage.
« Et alors on se serait cru – volutes de Gitanes en moins – dans un de ces Sautet “première période” que je regardais le dimanche soir, au début des années quatre-vingt, anxieuse du devoir surveillé de géographie que Mme Lamboley nous avait concocté pour le lendemain, quand, approchant son visage du passe-plat, Arno a crié en direction des cuisines : “Un p’tit salé, un !” »
Mais c’est un film de Claude Sautet des années 2010. Pas de volutes de Gitanes donc (ce petit détail qui fait mouche) mais plus de cynisme et de désespoir dans un monde certainement plus cruel. C’est le sens du décalage et une bonne dose d’humour qui viennent à la rescousse des personnages. Quelques exemples :
« Il serait bon qu’elle surmonte sa phobie des dentistes parce qu’une femme aussi coquette arborant ces chicots, c’est rebutant. »
« Je m’appelle Arno avec un o comme dans Hitler. »
Vous êtes nés à la bonne époque est un livre est très bavard. Les dialogues abondent. Plus que la narration, ce sont grâce à eux que l’intrigue avance.
Le livre est à la fois léger et profond. On parle gravement de choses légères et légèrement des sujets graves. Jusqu'à cette dernière ligne, une véritable claque qui vous faire reconsidérer complètement le roman. Car Matthieu Jung n’est pas seulement un fin analyste de la société, c’est aussi un manipulateur. Il y a quelque chose de retors en lui. Ceux qui avaient lu Principe de précaution le savaient déjà.
Paul Martell
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