Vous êtes ici, Renaud Ego (par Didier Ayres)
Vous êtes ici, Renaud Ego, éditions Le Castor Astral, 2021, 176 pages, 14 €
Englobement
Il est difficile pour le lecteur que je suis de résumer mes diverses impressions, tant les 15 poèmes de cet ouvrage nous donnent à découvrir 6 années de travail toujours animées du même entrain. Une poésie dynamique. Ce qui veut dire ici que, le procédé poétique restant le même, la ligature autour de laquelle tournent ces poèmes se déforme et se dilate dans la lecture. Est-ce la fleur manquante faisant le bouquet ? Sans doute, si l’on espère dans le rassemblement de la lecture, de l’inquiétude humaine et de la forme écrite, voyant dans le poème le poète comme fleur absente mais qui à lui seul fait entièrement le poème – c’est d’ailleurs pour moi le point essentiel : voir le poète sous le glacis de son poème. Forme du discours et espace abstrait.
L’on appréhende le texte comme le ferait un peintre appréhendant la surface. Et je pense particulièrement à Al Martin dont le travail fonctionne en grattage de la matière, où de petits lambeaux de matière colorée décortiquent la réalité peinte. Car cette littérature offre un tableau complexe et riche de signes, touchant là l’ordre poétique lui-même. Et avec lui, l’esthétique de l’encorbellement, c’est-à-dire, en suspens, en hauteur, en témoignage, et tout cela sans déconstruire l’architecture, mais plutôt en faisant confiance au background de la culture savante et aux capacités de déambulation du lecteur.
Voyez le moindre, prenons les herbes :
aucune n’y est deux fois plantée
et toutes sont la prairie
et toutes sont unes,
ce qui nous est commun
nous distingue autrement
d’avoir seuls l’idée du seuil
où dissiper l’enfermé défendu
Je parlerais de géométrie en voyant comment le poème fait ellipse, ce qui signifie une sorte de cercle qui aurait deux centres, et donc construirait un ovale, une forme ovoïde. Car c’est bel et bien depuis le poème en sa confrontation avec la réalité – fût-elle d’ordre symbolique –, que se dresse la poésie. Très concrètement, j’ai repéré beaucoup d’impressions d’envol, de figures montantes. Cette poésie est expérience aérienne, souffle. Une poésie qui lutte contre l’apesanteur – la pesanteur. Elle est fragile en un sens, un peu comme un pas de neige sur un plancher – comme le décrit Kerouac. Souffle ai-je dit, quand il faut suivre l’élévation, et toute la ductilité de l’air qui la rend possible. Donc, légère comme une guipure, mais couvrant des mondes complexes et divers.
Incrédule il riait pour lui-même « Je vole ! »
au-dessus des visages levés vers lui du fond
des barques posées sur le fleuve
Ces textes sont une fréquentation de l’être aux accents whitmaniens, liés à des forces positives, presque viriles, en tout cas prises dans une vasque idéologique fraîche et motivante. Par hypothèse, je pense à ce sujet à Quand passent les cigognes, film produit dans le contexte euphorique des constructions de l’Europe de l’est gagnée par le communisme. Le poète semble pris par cette fièvre blanche, sorte d’allégresse, d’alacrité intellectuelle.
« Tout est langage et le langage est tout ». Formule bien sûr, mais qui redit que le poème, comme le comprend Renaud Ego, est acte de création, donc en relation à la gésine, à la fermentation, et aussi à la construction, à l’attention portée aux lieux propres du poème. L’auteur cherche la beauté, voilà tout. Et ce faisant, l’on ne peut pas se taire, l’on avance immanquablement, l’on ajoute une force à la force de l’être humain.
je lui parle et lui demande s’il te plaît
de bien prendre appui sur l’impalpable et de t’élever
comme un à ta façon poète élégiaque
en dépit de toutes les raisons objectives
que tu aurais toi aussi de t’écraser
Didier Ayres
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