Volupté amarescente…, par Nadia Agsous
Lorsqu’elle mourut, par une nuit d’automne, Yumma Yaya, cette femme dont le visage anonyme déambule dans mon esprit brûlant d’amour, fut élevée au rang de sainte par ses adorateurs qui étaient des membres puissants et riches de la noblesse benjoyienne. Quelques jours à peine après son décès, pour rendre hommage à celle qui fut leur oracle, ils érigèrent, sur le sommet de la Montagne Sacrée, un mausolée qu’ils baptisèrent Akham Lehna Negh – la Maison de Notre Bonheur –, où son corps, jamais décomposé, fut enseveli dans une pièce étroite, minuscule, toute rikiki qui ne se désemplissait jamais.
Jamais ?
Jamais ! Car cette femme, amour de mon espoir désespéré, avait la réputation de posséder des pouvoirs extra-ordinaires qui produisaient des miracles et faisaient envier les oracles du monde entier : des pouvoirs aux vertus réparatrices, des dons guérisseurs, des rêves hallucinatoires, des visions extrasensorielles, une ouïe surdéveloppée, le pouvoir de repousser les forces du mal et de les engloutir dans les eaux impures de l’abjection produisait des miracles.
Il paraît que…
Il paraît ?
Oui, il paraît… Il paraît peut-être ? Il paraît peut-être pas ? Mais il paraît, car un nombre incalculable d’histoires se raconte, se chuchote, se susurre au sujet de cette femme hors du commun ; des histoires qui se transmettent année après année, de génération en génération, siècle après siècle, éternité après éternité : il paraît qu’un jour, à l’aube de la vie, alors qu’il pleuvait à torrents et que le vent soufflait fort, très fort, Yumma Yaya escalada neuf cieux et transperça le cœur du soleil endormi. Avant de quitter ce monde inaccessible, elle surprit la mort dans son repos éternel ; elle éveilla les consciences des dieux déchus ; elle réveilla les désirs endormis des anges maudits ; elle s’installa dans la voûte céleste, non loin de la Voie lactée, derrière la lune en pleine volupté, et pendant trois jours et deux nuits, assistée de deux anges chassés de l’enfer, elle mena une longue et rude bataille contre les protecteurs de l’Emir de Constantaplone, l’ennemi juré des souverains de la ville de Benjoy.
La légende populaire féminine benjoyienne raconte que Yumma Yaya était très sollicitée par les femmes stériles, menacées de répudiation par leurs époux. Lorsqu’une femme qui était enceinte, grâce aux pouvoirs d’enfantement de Yumma Yaya qu’elle vola au Dieu Conception une nuit de fol amour, était sur le point d’accoucher, Yumma Yaya convoquait ses amants et, chacun à son tour, elle leur offrait son corps, leur ouvrait son sexe et, lorsqu’elle était en pleine volupté, de sa voix douce, pleine de désir, d’amour et de tendresse, elle implorait leur pouvoir d’adoucir les douleurs du monde, d’apaiser les tourmentes des humains, de panser les blessures des fêlés de la vie ; et après avoir joui jusqu’à étourdissement de ce corps et de ce sexe qui s’offraient sans limite, sans frontière, ces êtres, mi-hommes, mi-dieux, mi-incrédules, mi-naïfs s’en allaient, tous ensemble, à la queue leu leu, verser leur semence dans un pot en porcelaine qui avait le pouvoir de transformer le sperme de ces mâles en mal d’amour et de miséricorde en un liquide doré aux vertus divinatoires : Al-ʾiksyr !
A la tombée de la nuit, alors que le Monde se débattait dans les méandres de ses maux éternels, Yumma Yaya s’en allait, solitaire, avançant lentement, au rythme de ses amours déçues, avortées, déchues, déposer le pot et son contenu sur la crête du neuvième ciel où des oiseaux de bon augure s’abreuvaient à cette source féconde et régénératrice.
Ah, la vie ! La vie, cette folie qui cultive la solitude du silence. Un peu plus chaque jour ! Peut-être plus ?
Plus.
Nadia Agsous
- Vu : 3390