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Voltaire et son lecteur, Essai sur la séduction littéraire, Sylvain Menant (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier 28.09.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Voltaire et son lecteur, Essai sur la séduction littéraire, Sylvain Menant, éditions Droz (Genève), avril 2021, 268 pages, 36,90 €

Voltaire et son lecteur, Essai sur la séduction littéraire, Sylvain Menant (par Gilles Banderier)

Comment devient-on non seulement l’écrivain le plus célèbre de son époque, mais encore celui qui, aux yeux de la postérité, paraît le mieux l’incarner (tout le monde comprend de quoi l’on parle lorsqu’on évoque « le siècle de Voltaire ») ? François-Marie Arouet ne provenait pas d’une lignée qui, à l’instar de la famille Bach, se serait de longue date distinguée dans les arts. Il dut sa renommée certes à son talent (bien qu’il ne fût pas le seul grand écrivain de son temps), mais également à une volonté implacable et continue de se hisser à la première place, d’accéder à un magistère intellectuel, à une royauté littéraire qui sera reconnue le 30 mars 1778, deux mois exactement avant sa mort. Et cette royauté ne fut elle-même pas exempte de paradoxes : en premier lieu, comment se fait-il que cet écrivain qui, au plan politique et esthétique, fut aussi conservateur qu’on pouvait l’être, professant de surcroît des opinions peu tolérantes (aussi longtemps qu’un candidat antérieur sérieux ne se sera pas présenté, il restera celui qui aura transformé le vieil antijudaïsme chrétien en antisémitisme racial et laïc – ce qui avait déjà heurté ses contemporains), en soit venu à incarner une période qu’on imagine dominée par les idées de liberté, de tolérance et de progrès ?

En second lieu, formé par les Jésuites (un héritage qu’il ne renia jamais), Voltaire eut à cœur d’illustrer les genres littéraires que ses maîtres tenaient en la plus haute estime, la tragédie et l’épopée. Il y parvint : dans ces deux domaines, il produisit des œuvres qui furent acclamées en leur temps, mais ces pans du génie (ou du talent) voltairien disparurent avec leurs premiers lecteurs et les inévitables changements esthétiques qui accompagnent le passage des générations. Car, à la différence de l’abbé Meslier, ce prêtre athée qui confectionna dans la solitude de sa cure ardennaise la bombe qui explosera au cœur des Lumières, Voltaire, rêvant d’épopées à l’antique et de tragédies néoclassiques en cinq actes, ne cessa de considérer ses futurs lecteurs, comme le montre avec conviction Sylvain Menant dans ce volume sous-titré Essai sur la séduction littéraire. Avant toute autre considération, M. Menant écrit avec brio et ses pages ne sont pas remplies de ces boursouflures qu’on rencontre depuis plusieurs décennies chez les critiques et qui font qu’en dehors des commissions de spécialistes à l’Université, plus personne ne les lit.

Séduire (seducere) signifie faire sortir du chemin. Ce fut exactement ce qui arriva à ces innombrables lecteurs qui, presque sans s’en rendre compte, furent amenés à adopter des idées qui n’étaient pas au départ les leurs. Ainsi s’explique, en partie, la mutation évoquée par Paul Hazard en une formule célèbre : « La majorité des Français pensait comme Bossuet ; tout d’un coup, les Français pensent comme Voltaire : c’est une révolution ». Mais cette « politique de la séduction » eut pour conséquence (au fond prévisible) que des dizaines d’œuvres voltairiennes allaient disparaître avec leur dernier lecteur contemporain. Pour le XXIe siècle, Voltaire n’est plus qu’un nom qu’on invoque et une ombre qu’on agite en des circonstances troublées, l’auteur de deux ou trois contes (des productions qu’il méprisait) et de quelques articles du Dictionnaire philosophique. Si la représentation de Mahomet ou le Fanatisme à Genève, en 2005, fit du bruit, ce fut pour des raisons n’ayant rien à voir avec la qualité littéraire de l’œuvre (qu’on qualifiera charitablement de médiocre). Et c’est par là que le livre de M. Menant échappe à cette « littérature grise » que les universités paraissent produire jour et nuit, pour s’élever au niveau d’une médiation sur le sort des livres.

« Plus encore que Rousseau, dont l’autobiographie, du moins dans ses commencements, est assez facile d’accès, Voltaire a perdu le contact, qu’il a si passionnément recherché et si triomphalement trouvé, avec le lecteur. Mais ce sort, il le partage avec beaucoup d’autres ; c’est le destin des livres de finir par murmurer seulement, après avoir parlé haut et fort » (p.243).

 

Gilles Banderier

 

Né en 1939, Sylvain Menant est professeur émérite à l’Université Paris-Sorbonne.

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A propos du rédacteur

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Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).