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Voir clair, Marius von Mayenburg

Ecrit par Marie du Crest 20.03.13 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, L'Arche éditeur, Théâtre

Voir clair, traduit par Laurent Muhleisen, 2012, 46 p. 14 €

Ecrivain(s): Marius von Mayenburg Edition: L'Arche éditeur

Voir clair, Marius von Mayenburg

 

 

Lire et voir le théâtre de M. von Mayenburg (3)

Voir clair ou Que se cache-t-il derrière la porte ?

 

La pièce de Marius von Mayenburg est publiée chez l’Arche Editeur conjointement à Perplexe. Les deux œuvres ne sont pas exactement contemporaines. En Allemagne, elles ont été publiées respectivement en 2010 et en 2006. Pourtant, d’une certaine manière, elle fonctionnent en diptyque. Ce n’est sans doute pas tout à fait par hasard si Maïa Sandoz a pensé construire un spectacle trilogie autour de ces deux pièces ainsi qu’autour d’une troisième, Le Moche.

Ces deux textes, chacun à sa façon, disent ce que le théâtre peut montrer ou cacher du monde. AvecPerplexe, Mayenburg interroge l’illusion comique ; avec Voir clair, il met à l’épreuve le visible et l’invisible, la fantasmagorie d’un autre genre littéraire, celle du conte de fées. Les dispositifs scéniques initiaux mis en place par Mayenburg sont presque identiques comme le montrent les premières didascalies. Le théâtre est un champ d’expérimentation construit sur l’ouverture et la fermeture (à droite et à gauche/ côté cour et côté jardin). C’est un espace de portes. Dans cette pièce-ci, il y a en plus une porte interdite, frontale pour le public, « un lointain » qui nourrit son imaginaire. Tout au long de la pièce, les deux personnages principaux, Walter et Julia, vont occuper l’espace du plateau à partir de ces trois portes (p.87-92-93-94-95…). La troisième porte est secrète : c’est la porte de Barbe-Bleue. Walter, le personnage masculin, semble seul dans son appartement mal entretenu et Julia dans la première moitié du texte (p.103) fait office de cuisinière ; elle prépare l’émincé de bœuf et elle passe l’aspirateur comme le ferait n’importe quelle femme de ménage. Il est assez peu aimable avec elle. Il la voussoie ; l’allemand comme le français permet une énonciation distancée. Walter a une clef cachée dans son pantalon, comme le personnage de Perrault : « la clef du cabinet au bout de la galerie… ». Julia s’interroge sur le mystérieux interdit de cette porte que l’on ne peut franchir, tout comme le spectateur d’ailleurs. Ce dernier entend lui aussi des bruits inquiétants venant de cette porte, derrière le décor.

De l’intérieur proviennent des bruits. P.94

Cela pourrait nous faire croire à une intrigue policière mais Mayenburg choisit une autre voie. Walter a eu une femme dont l’existence est révélée par le truchement d’un accessoire : une photo découverte par Julia. Walter raconte enfin sa mort, son suicide alors que Julia se rapproche affectivement de lui. Le tutoiement surgit p.103. Ils prennent leur repas face à face. La pièce ainsi change-t-elle de registre et glisse vers le poétique et une autre dramaturgie. Walter revêt une robe. Le travestissement est comme dans Perplexe affaire de théâtre et d’identité. Ce basculement correspond en vérité à l’ouverture de la porte du fond. Julia finit par dérober la clef de la porte centrale. Elle pénètre dans ce lieu soustrait au regard des spectateurs et qu’elle-même ne connaît pas (p.110). Un nouveau personnage entre en scène alors, Pauline. La question de la visibilité s’inscrit dans le titre aussi bien en allemand (Augenlicht) que dans la belle traduction de L. Muhleisen, fidèle de l’œuvre de Mayenburg,Voir clair. Le théâtre se situe entre la lumière et le noir. Pauline est la fille cachée, peut-être séquestrée de Walter. Elle est une adolescente de 17 ans qui vit dans un lit à barreaux sans voir le reste du monde, elle, l’aveugle. La chambre mystérieuse devient un nouveau théâtre. Julia la « conduit vers le rideau, qu’elle ouvre, la lumière entre ». Dès lors Walter devient sa mère comme le répète la didascalie « imitant sa mère ». Pauline fait de Julia une infirmière et elle-même devient une reine de conte de fées qui avale les perles d’un coffret à bijoux. Walter d’ailleurs dira p.124-125 :

« Vous aussi n’êtes que des personnages d’un conte, et vous ne savez même pas de qui il est ».

Julia finit toutefois par s’écarter, par s’éloigner pour laisser ensemble le père et la fille. Ils sont tous les deux des enfants, « des joueurs », et le texte de cette courte pièce se referme sur des mots de tendresse et de douceur infinie en écho avec la fin de Perplexe. Pauline caresse son père et elle s’apaise. Mayenburg semble ainsi déconstruire le réel : le début de la pièce s’ouvre sur la vie domestique et s’achève sur une rêverie, sur une porte ouverte, celle de l’enfance et du théâtre.

 

Marie Du Crest

 

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A propos de l'écrivain

Marius von Mayenburg

 

Marius von Mayenburg est né à Munich en 1972. Il fait tout d'abord des études de langue, littérature et civilisation allemandes anciennes, déménage en 1992 à Berlin, où, de 1994 à 1998, il suit au Conservatoire les cours d' "écriture scénique". En 1995, il fait un stage aux Münchner Kammerspiele. Il débute en 1998 en participant à la direction artistique de la "Baracke" du Deutsches Theater et, en 1999, va avec Thomas Ostermeier travailler comme directeur artistique et auteur en résidence à la Berliner Schaubühne am Lehniner Platz.

 

A propos du rédacteur

Marie du Crest

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.