Viva, Patrick Deville
Viva, août 2014, 208 pages, 17,50 €
Ecrivain(s): Patrick Deville Edition: Seuil
« Tout commence et tout finit par le bruit que font ici les piqueurs de rouille. Capitaines et armateurs redoutent de laisser désœuvrés les marins à quai. Alors le pic et le pot de minium et le pinceau. Le paysage portuaire est celui d’un film de John Huston, Le Trésor de la Sierra Madre, grues et barges, mâts de charge et derricks, palmiers et crocodiles ».
Patrick Deville, écrivain voyageur et voyageur écrivain, ordonne en astrophysicien la constellation de Viva. Dans le ciel du romancier, Trotsky, Malcom Lowry, mais aussi Cravan, Frida Calo, Diego Rivera, Artaud, André Breton, des assassins et des révolutionnaires, des amoureux, des tavernes, un volcan, des villes mexicaines et mille étoiles scintillantes. Tout l’art de l’écrivain est d’ordonner leurs rencontres, leurs rêves et leurs défis. Comme un marin sans désœuvrement, il pique l’Histoire de son crayon, pour en éliminer la rouille, ce poison qui la dévore au fil du temps : les falsificateurs, les mauvais écrivains, les historiens frileux et les lecteurs pressés. L’or apparaît alors, pur et mystérieux comme un volcan d’où se détachent par éclairs la figure brisée d’un écrivain révolutionnaire et celle d’un révolutionnaire écrivain assassiné.
« Trotsky rencontre dans ses promenades sur le pont balayé de pluie un géant amoché en imper, “un boxeur anglo-français se piquant de belles-lettres, cousin d’Oscar Wilde”. C’est Arthur Cravan, le poète aux cheveux les plus courts du monde selon son ami Blaise Cendrars ».
« Pendant dix ans de sa vie, Lowry écrit dans cette cabane et nage en bas dans l’eau froide… Et autour de la cabane il convoquera tout le grand charroi de l’Histoire, et les fresques des peintres muralistes mexicains Diego Rivera et José Clemente Orozco, et la guerre d’Espagne, et le grand nom de Trotsky, lequel sonnera deux fois comme angélus, dans le premier chapitre du Volcan et dans le dernier, le douzième, à la fin du tour de cadran de cette seule journée de cinq cents pages ».
Patrick Deville, écrivain géographe, ordonne avec l’instinct d’un orpailleur ces entremêlements de vies et de destins qui ébranlèrent l’art et le monde, qui s’éveillent en mille éclats effervescents sous le tamis du roman. L’écrivain pratique les hasards de la dérive littéraire et politique, s’armant de savoir et saveur, il se glisse dans le cristal de ses personnages, en laissant vagabonder son imaginaire luxuriant. On l’imagine dans le train blindé qu’emprunte Trotsky avant que Staline ne le livre à ses tueurs serviles, sur le Montserrat avec Cravan, dans la maison bleue de Coyoacán sous le regard pigment de Frida, dans le patio de l’hôtel Francia retenant Lowry qui chancelle, ouvrant une nouvelle fois le Volcan, cette boussole romanesque qui s’affole.
« Dès les premiers mois de cette année 1937, pendant que Trotsky, depuis Coyoacán, reprend son combat révolutionnaire, et compulse ses archives en prévision du contre-procès de Moscou qui se tiendra à Mexico, Lowry arpente toutes les rues pentues du Cuernavaca et invente les lieux de son roman ».
Patrick Deville, écrivain français à l’oreille fine, entend en castillan, en français et en anglais ce qui s’écrit, se vit et se fomente au Mexique, en Espagne, en France, à Vancouver et à Moscou, géographie littéraire et révolutionnaire qui résonne dans Viva comme une chanson nostalgique et joyeuse à la fois. Un hymne à la liberté libre que fredonnerait Maqroll el Gaviero, le marin sans attaches d’Alvaro Mutis qui traverse comme un astéroïde le roman, et qui se glisse dans cette constellation, comme s’y glissent Traven, Nadeau, Octavio Paz, John Reed, Mauriac et tant d’autres. Les grands romans sont toujours de bonne compagnie.
Philippe Chauché
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