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Visage de feu, Marius von Mayenburg

Ecrit par Marie du Crest 07.03.13 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Langue allemande, L'Arche éditeur, Théâtre

Visage de feu, traduction de l’allemand par M. Blezinger, L. Muhleisen et G. Milin, 63 p. 14 €

Ecrivain(s): Marius von Mayenburg Edition: L'Arche éditeur

Visage de feu, Marius von Mayenburg

 

Feuergesicht, le titre allemand de la pièce de Marius von Mayenburg plus encore que sa traduction en français, Visage de feu, dit dans son mot unique la puissance de ce qui brûle Kurt, le jeune adolescent en pleine puberté, personnage central de l’œuvre : frère incestueux, fils pyromane, lecteur incendiaire du grec Héraclite.

Pourtant la pièce semble nous installer dans une logique de peinture sociale. La middle class allemande constitue la liste des personnages. Le père, Hans est ingénieur, sa femme sans nom reste au foyer pour s’occuper de leurs deux enfants : Kurt donc et sa sœur Olga. Cette dernière a un petit-ami, Paul, amateur de moto, en conflit avec son propre père pour de sombres histoires d’argent. Les voici attablés prenant leur repas comme l’indique la première didascalie du texte (p.9) de même p.39. Ils devisent tous les quatre sur un quotidien dérisoire. Nous retrouvons les parents dans leur chambre à coucher, Hans lisant les faits divers dans son journal. Mais assez vite, la respectabilité bourgeoise vole en éclats. Dans la salle de bain, la mère fait sa toilette intime sous les yeux de son fils indigné de cette impudeur. Peu à peu, d’ailleurs, les parents et les enfants vont s’éloigner les uns des autres. Tout n’est qu’apparence au fond. Le texte de la pièce est une ouverture au sens musical du terme. Il s’agit du cri organique de la naissance poussé par Olga et Kurt :

La première impudence est oubliée, l’union avec la chair maternelle.

A partir de là, la pièce se déploie en une série de séquences courtes qui s’organisent en saynètes à deux personnages : le père/la mère ; Kurt/Olga ; Paul/le père ; Paul/Kurt ; Paul/Olga.

Ainsi la parole n’a-t-elle jamais d’amplitude, d’autant que très souvent les répliques ne sont que des stichomythies. Les personnages n’ont pas grand-chose à se dire finalement, et le frère et la sœur sont pris dans la violence de leurs émotions. Seuls les monologues exceptionnellement courts au regard de la tradition théâtrale donnent à chaque personnage l’occasion de dire sa parole. Cette parole prend plusieurs formes, celle assez habituelle du récit hors plateau. Kurt par exemple rapporte p.30 l’incendie à l’école où Olga raconte longuement, p.51 et suivantes, le feu dans l’usine de textile. Elle est aussi parole épistolaire entre le frère et la sœur p.54-5 ; en effet Kurt a dû s’éloigner du foyer familial pour séjourner chez sa tante Anna à la campagne. Kurt, quant à lui, cite par deux fois des fragments d’Héraclite sur la primauté du feu :

Le monde naît du feu et retourne au feu… p.38

Il existe des forces contraires… p.49.

Kurt sera le dernier à parler dans la pièce après avoir commis son parricide, rejoignant alors le moment du cri primordial. Torche humaine, anéantie dans le silence du noir théâtral.

Kurt est une figure de l’adolescence assassine, celle peut-être d’Elephant ou de Funny games. Son arme est le feu, un feu grandissant : un merle brûlé, puis une école, un grand magasin, un parking, une église, ravagés par les flammes. Il incendie aussi les affaires de son rival Paul, et s’immole enfin après avoir ravagé son visage. Le feu sous-tend l’écriture de Mayenburg, feu métaphorique et poétique du côté de la philosophie présocratique, et feu, architecture dramatique.

Nombreuses sont les didascalies se rapportant à l’action par le feu qui jalonnent le texte de la pièce :

Un objet emballé dans du papier journal carbonisé, p.20

Le visage de Kurt est entièrement recouvert d’une crème blanche. Ses cheveux sont en partie brûlés, p.28

Paul porte un grand sac poubelle rempli de cendres, p.50

Il commence à porter plusieurs bidons d’essence… et il s’est aspergé lui-même d’essence, p.62 et p.63

Ce qu’il faut sans doute appréhender dans la pièce de Mayenburg, c’est moins une perspective sociale que métaphysique. Naissance et mort, poussière, cendre redevenu, tel est le cycle de Kurt.

La pièce Visage de feu fut reçue comme une déflagration, recueillant le prix Kleist, encourageant les jeunes auteurs dramatiques. Depuis sa création en 1998 à Munich, dans une mise en scène de J. Bosse,Visage de feu n’a cessé d’être montée à travers toute l’Europe. En France, elle fut jouée pour la première fois en 2000 au théâtre de la Colline sous la direction d’A. Françon.

 

Marie DuCrest


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A propos de l'écrivain

Marius von Mayenburg

 

Marius von Mayenburg est né à Munich en 1972. Il fait tout d'abord des études de langue, littérature et civilisation allemandes anciennes, déménage en 1992 à Berlin, où, de 1994 à 1998, il suit au Conservatoire les cours d' "écriture scénique". En 1995, il fait un stage aux Münchner Kammerspiele. Il débute en 1998 en participant à la direction artistique de la "Baracke" du Deutsches Theater et, en 1999, va avec Thomas Ostermeier travailler comme directeur artistique et auteur en résidence à la Berliner Schaubühne am Lehniner Platz.

 

A propos du rédacteur

Marie du Crest

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.