Vie de Gérard Fulmard, Jean Echenoz (par Jean-Paul Gavard Perret)
Vie de Gérard Fulmard, janvier 2020, 240 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Jean Echenoz Edition: Les éditions de Minuit
Dans la veine de Envoyé spéciale, Jean Echenoz présente un polar fulminant et humoristique. Son héros solitaire, ex-steward doté d’une surcharge pondérale, est en perpétuelle reconversion ou errance. Celui qui ressemble « à n’importe qui mais en moins bien » n’a aucun charme particulier et ne fait pas plus profession de joie que la rue où il vit.
Lugubrement réjouissant, le livre est celui d’un orfèvre libre qui cisèle les aléas de son détective grassouillet, et soigné par un psychiatre. Il rate tout au sein d’une histoire politique d’un parti (la FPI) aussi nul que lui et qui peut ressembler au « Rassemblement National » des Le Pen, même si Echenoz fait mine de ne pas y avoir pensé.
Mais l’histrion nous mène en bateau là où sa parodie est toutefois secondaire : ce qui compte c’est le style en ses continuelles pirouettes. Après Zatopek et Mike Brant, l’auteur réussit à nous intéresser à une vie désormais d’un héros de fiction. Son existence sans consistance est dans la droite ligne de deux modèles échenoziens : Jacques le Fataliste et Bouvard et Pécuchet, mais façon roman noir – ou presque.
L’exercice de virtuosité est constant et désopilant, là où les parenthèses se referment (mais pas forcément), et de toute façon pour laisser place à d’autres dans une limpidité qui donne à ce tocard de Fulmard une puissance de batracien échoué dans les rues de Paris.
La désinvolture et le détournement créent un horizon d’attente du tout comme du rien. C’est parfait de bout en bout en une multiplication de chausse-trappes apodictiques là où rien de ce qui pourrait se prévoir n’aura lieu dans le jeu entre deux narrateurs : Fulmard et l’auteur lui-même.
Dans ses espaces de tension, ses lignes souterraines indices de l’inconnu d’une histoire dont on croira tout connaître, Fulmard le ruminant ressasseur semble vouloir que l’autre narrateur lui dise ses quatre vérités. Tout en lui rappelant qu’il n’y est en rien obligé là où ses jardins secrets ressemblent plutôt à un immense champ de ruines qu’Echenoz se plaît à miner.
Jean-Paul Gavard-Perret
VL 3,5
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
- Vu : 2131