Vie animale (With the Animals), Justin Torres (par Léon-Marc Levy)
Vie animale (We the animals). Trad de l’anglais (USA) par Laetitia Devaux. janvier 2012. 142 p. 18 €
Ecrivain(s): Justin Torres Edition: L'Olivier (Seuil)La lecture de ce livre est un véritable basculement dans un univers littéraire « autre », une authentique rupture avec le paysage éditorial ambiant. Tant en ce qui concerne l’écriture, syncopée, haletante, stylo au poing comme on dit « caméra au poing » pour traquer au plus près l’étrange spectacle des êtres dans l’incroyable hypothèse qu’est une famille nucléaire, que dans le portrait de personnages plus qu’improbables et pourtant d’une familiarité absolue !
La famille du narrateur. Paps, Ma et les trois frères (en le comptant, il est le plus jeune). Tous déjantés ? Oui, en apparence, gueulards, brutaux, un peu (!) cruels, rigolards, imprévisibles.
« Quand on se battait, on se battait avec des bottes et des outils, des tenailles qui pincent, on attrapait tout ce qui nous tombait sous la main et on le jetait ; on voulait plus de vaisselle cassée, plus de verre brisé. On voulait plus de fracas. »
Le fracas est le fil rouge de ce roman familial pas comme les autres. Le bruit et la fureur. Et la fragilité des êtres aussi, et surtout. Parce que, dans la dérive de cette famille pauvre et marginale, il surnage quand même de l’amour. Un amour étrange et dévastateur qui laisse peu de place à l’épanouissement des trois frères.
Justin Torres écrit comme personne aujourd’hui, dans une « chanson » discordante, mélancolique, déchirante et tellement drôle, malgré tout, par moments !
« … (Ma) travaillait de nuit à l’usine sur la colline, et parfois, elle était un peu perdue. Elle se réveillait n’importe quand, elle se trompait, elle mélangeait les jours et les heures, elle nous ordonnait de nous brosser les dents, de nous mettre en pyjama et de nous coucher en plein milieu de la journée : ou alors, quand on arrivait dans la cuisine le matin, à moitié endormis, elle sortait un pain de viande du four en disant : « Qu’est-ce que vous faites les garçons ? J’arrête pas de vous appeler pour dîner. »
Trois garçons. Trois petits animaux inséparables, presque siamois, ballotés dans une famille qui n’a rien du cocon. Justin Torres invente une manière nouvelle et unique d’évoquer l’enfance. N’attendez rien du côté de la fleur bleue. Tout dans ce livre est stupéfiant, violent, déroutant. Torres invente la famille brutale qui s’aime sans savoir aimer, qui se soutient sans savoir comment. Une nouvelle version du chaos familial qui sonne fortement d’aujourd’hui. Une famille ou les petites boules éperdues d’amour que sont les enfants deviennent des animaux.
« J’ai essayé de les griffer au visage, et comme je ne pouvais pas j’ai essayé de me griffer.
Ils m’ont plaqué au sol ; Je me suis débattu, j’ai craché et j’ai crié à me déchirer la gorge. Je les ai insultés : on était tous des fils de pute, des bâtards, notre mère baisait avec une bête. Ils m’ont maintenu au sol. Au début ils se sont défendus, m’ont insulté, giflé, mais plus je devenais sauvage, plus ils se réfugiaient dans leur amour pour moi. »
On sort soufflé de cette lecture, certain d’avoir lu un des livres les moins conventionnels de ces dernières années.
Léon-Marc Levy
VL3
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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