Victoria n’existe pas, Yannis Tsirbas (2ème critique)
Victoria n’existe pas, trad. grec Nicolas Pailler, 66 pages, 10 €
Ecrivain(s): Yannis Tsirbas Edition: Quidam Editeur
Strangers on a train (1) pourrait être le titre anglais ou américain pour une traduction de ce premier opus de Yannis Tsirbas, car il s’agit bien, au départ, d’une rencontre imprévisible, mais pas totalement improbable, dans un train qui va de la banlieue vers la capitale, Athènes. Mais la comparaison devrait s’arrêter là, car il n’y a pas à proprement parler de projets de criminels inavoués entre les deux protagonistes. Encore que…
L’homme habite le quartier du square Victoria. Un nom qui n’évoque sans doute pas grand-chose pour celles et ceux qui n’ont pas fait le voyage. Le square Victoria est un des lieux d’Athènes qui a depuis quelques années une des plus sombres réputations. Insécurité, saleté… Un lieu où il ne ferait pas bon se promener la nuit venue et que tous les touristes devraient soigneusement éviter, même si les restaurants n’y manquent pas. C’est que le square Victoria est depuis des années un des lieux où atterrissent et tentent de survivre des immigrés venus de pays où la vie est encore plus difficile qu’en Grèce.
Une situation qui encourage l’extrême droite d’Aube dorée. C’est de cela que l’homme parle, prenant le narrateur à témoin de ses convictions, créant un malaise diffus auquel personne ne sait répondre. A moins que personne n’ose répondre, pris entre une vague peur et un certain sentiment d’impuissance. A moins que chacun soit à court d’arguments pour contrer ce discours de rejet que la morale nous fait rapidement étiqueter comme xénophobe, raciste, fasciste… Peut-être paralysé par une vague peur, la peur de l’autre, de celui qui dit cela sans complexe, préfère-t-on ne pas l’entendre, même lorsque l’on est forcé, bon gré mal gré, de l’écouter. Même lorsqu’il expose tranquillement une solution finale vis à vis des chinois, des pakis et des autres.
En arrière plan de ce presque impossible dialogue, les voix de ceux qui vivent, survivent ou tentent de survivre. Un ado qui joue les caïds à l’époque de la dictature et qui, à force de tenter de se révolter et de se faire tabasser, se perdra jusqu’à devenir ce qu’il voulait a priori fuir. Un homme qui a faim. Simplement faim. Faim au milieu de l’indifférence ou de la méfiance des gens comme il faut. Une femme victime de violences dites conjugales comme il y en a partout.
Le tableau, on le voit, est des plus sombres, mais il ne juge pas. Il montre, essaye de voir ce qu’on ne veut pas voir, pas savoir. Et pourtant, Victoria existe… même s’ils sont nombreux ceux qui voudraient tant que Victoria, effectivement, n’existe pas. Comme en France nombreux sont celles et ceux qui voudraient que la jungle de Calais n’eut jamais existé. Si seulement il suffisait, comme dans nos jeux d’enfants, de fermer les yeux pour que la chose disparaisse. Quitte à ne plus jamais ouvrir les yeux.
Marc Ossorguine
(1) Le titre original de L’inconnu du Nord Express d’Hitchcock.
Lire la critique de Victoire Nguyen sur la même oeuvre
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