Vice, Hervé Guibert
Ecrivain(s): Hervé Guibert Edition: Gallimard
Vice occupe une place particulière dans l’économie générale de l’œuvre d’Hervé Guibert. Publié pour la première fois en 1991 aux Editions Jacques Bertoin, il a été écrit à la fin des années 1970, peu de temps après La Mort propagande, son premier livre. Il est aussi contemporain de Suzanne et Louise, le roman-photo que l’écrivain consacra à ses deux grand-tantes.
En ce sens, comme le remarque justement Thomas Simonet dans sa note préliminaire, il témoigne des « préoccupations d’écrivain et de photographe de l’auteur à cette période ».
L’ouvrage est constitué de trois parties.
La première, Articles personnels, sous-titrée Inventaire de la mallette du voyageur Bougainville – je suppose en hommage à Louis-Antoine de Bougainville qui rapporta plus de 2000 objets de ses longs voyages autour du monde – est composée de 19 textes. Chacun d’entre eux décrit minutieusement, de manière quasi chirurgicale, un objet quotidien ou rare qui prend sous la plume de Guibert une toute autre dimension. Ainsi, voit-on défiler Le peigne, Le Martinet, Les Gants ou L’abaisse langue. Le « vice » de l’auteur consiste ici à en envisager les usages désagréables ou voluptueux, à en fantasmer les effets inattendus ou les utilisations détournées, à en rêver les excès. Ainsi, La machine à faire le vide devient-elle l’instrument de torture et de mort d’un oiseau : « il ne peut plus voler, il est immédiatement plaqué au bois de la marquèterie, son cœur et les petites billes d’ivoire de ses yeux éclatent […] ». Il envisage aussi ce qu’il en serait si l’on élargissait « l’enceinte de la machine à faire le vide à des dimensions humaines »… Le rigollot ou cataplasme de moutarde, est-il tour à tour considéré comme un instrument de torture posé sur la poitrine d’un enfant malade ou un objet de jouissance utilisé « dans des simulacres devenus plus voluptueux ». On retrouve ici tout l’univers de La Mort propagande qui fait se côtoyer plaisir et douleur dans une jouissance du texte que ne peut que partager le lecteur.
La deuxième partie débute par un Règlement : « La ville, l’Etat devront désormais ménager un certain nombre de lieux vacants, dans le seul but de petites actions vicieuses, libertines, proprement luxueuses dans les pertes de temps qu’elles occasionneront aux citoyens ». Ce sont ces lieux que le narrateur nous invite alors à découvrir. On se promène du hammam au palais des monstres désirables en passant par le planétarium ou le laboratoire d’anthropologie. Ces lieux sont autant de fantasmagories, d’entrées dans l’univers des obsessions guibertiennes : la chair, le corps, les textures, les odeurs, la mort… Il y a dans cette jouissance du dire, dans cette volupté à écrire les entrailles, à trouver le mot juste, à ressusciter le mot rare, toute la maitrise d’Hervé Guibert : amener le lecteur à éprouver, dans un même mouvement, plaisir et gêne, attirance et répulsion. C’est là tout l’art du vice…
Ces deux parties sont séparées ou reliées, c’est selon, par un livret composé de 15 photographies prises en 1978, « au musée Grévin, à Florence, au Musée de l’Homme et au musée de l’Ecole vétérinaire ». Elles ne sont pas des illustrations mais constituent, pour l’écrivain-photographe, une autre manière d’écrire, avec la lumière cette fois-ci… Les obsessions sont les mêmes, encore effrayantes et belles à la fois, singulières, comme toutes les aventures dans lesquelles Hervé Guibert nous a toujours entraînés…
Arnaud Genon
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