Vice caché, Thomas Pynchon
Vice caché. Traduction de l'anglais (USA) Nicolas Richard. Septembre 2010. 350 p. 22,50 €
Ecrivain(s): Thomas Pynchon Edition: SeuilCombien de critiques de livres de Thomas Pynchon parlent de la même chose ? Où il est question d’un auteur qui refuse de se montrer aux médias. Un homme dont on ne connaît de lui qu’une photo, à vingt ans. Pourquoi ce passage obligé ? D’ailleurs, qu’est-ce que ça peut faire ce que fait l’écrivain fait de sa vie ? Quel est l’intérêt ? Ce qui importe, c’est ce qu’il écrit. Est-ce que c’est bon ? Est-ce qu’on aime ? Est-ce que ça peut changer notre vie ?
C’est sans doute qu’il est beaucoup plus facile de gloser sur le personnage que sur une œuvre qui exige une concentration extrême à chaque page. Les personnages abondent, l’intrigue se démultiplie en sous-intrigues, en digressions, et fourmille de détails d’une érudition à faire pâlir un encyclopédiste. Souvent, on se perd. Parfois, c’est amusant, d’autres fois exaspérant et on a l’impression que Pynchon est beaucoup trop intelligent pour nous.
Son dernier opus est sans doute le livre idéal pour aborder son univers. Vice caché, c’est un peu Thomas Pynchon pour les nuls. On n’ira pas jusqu’à dire qu’il est idéal pour la plage, mais il est beaucoup plus linéaire que ses précédents ouvrages.
L’intrigue se situe à Los Angeles, en 1970. C’est le début d’une nouvelle époque, ou en tout cas la fin d’une autre, « à se dire que les Sixties Psychédéliques, cette petite parenthèse de lumière, risquaient de se clore après tout, et que tout serait perdu, rappelé à l’obscurité… ».
Le héros, le détective privé Doc Sportello est un cousin du Dude de The Big Lebowski. Hippie à la coupe de cheveux spectaculaire, amateur de déguisements, consommateur invétéré de drogue, il mène l’enquête même si ses clients ne le payent pas, même si personne ne lui demande.
Doc enquête sur la disparition du magnat de l’immobilier Mickey Wolfmann. Quelques jours plus tôt, la maîtresse de celui-ci, Shatsa, qui avait été sa petite amie quelques années plus tôt, était venue l’avertir que la femme du milliardaire envisageait, avec l’aide de son amant, mais aussi celle de Shatsa, de le faire interner. Un complot pour mettre la main sur sa fortune. Peu après, un mystérieux homme demande à Doc de retrouver Glen Charlock qui s’avère être le garde-corps de Wolfmann. L’enquête a à peine débuté que Charlock se fait tuer et Doc se retrouve mystérieusement endormi sur la scène du crime. Et puis, il y a des motards nazis, un batteur mort qui refait surface tel un zombi, les débuts d’Internet ou une mystérieuse société secrète.
Résumer l’intrigue de ce livre devient un exercice de haute voltige. Il y aurait de quoi donner matière à des scénaristes de série télé pour au moins cinq saisons.
Vice caché est peut-être plus accessible que V ou Mason & Dixon, mais reste un véritable tour de force littéraire. La phrase de Pynchon est merveilleuse, rythmée, dynamique, et avec toujours la réplique qui fait mouche. Un exemple d’une phrase type pynchonienne (même si l’expression « une phrase type pynchonienne » est un oxymoron – ou une insulte pour le maître) :
« Donc, sachant qu’elles fréquentaient de longue date le Club Asiatique, il se dirigea directement vers la luxueuse résidence de plage de Lourdes et Motella, qui justement ce soir avaient prévu de sortir dans ce bouge de front de mer retrouver Cookie et Joaquin, leurs chéris du moment, que le FBI jugeait digne d’intérêt, offrant à Doc l’occasion de savoir pourquoi les federales s’intéressaient tant à eux, tout en réduisant en même temps à néant les espoirs qu’il avait pu caresser de participer à une partie fine à trois, avec dope en sus, juste lui et les deux nanas – tombé à l’eau comme Fats Domino dit toujours : « never to be », ce qui était de toute façon la manière dont ça se terminait habituellement avec ces deux-là ».
Yann Suty
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