Usage des cendres, Jean-Paul Bota
Usage des cendres, précédé de Feuillets du Midi (Chartres Lisbonne Venise), Jean-Paul Bota, Le préau des collines, 2010, 107 pages, 12 €
Le voyage, un « pèlerinage vers l’éclat »
Peut-on dire le voyage ?
Et le dire tel qu’il se révèle être, lorsque, loin de voyager seul, l’on fait de sa route l’irruption d’un moment d’infini partagé avec un autre, une autre ?
Pour Jean-Paul Bota, le voyage ne peut être séparé de cette façon, propre à l’amour, de cheminer à deux. L’être proche, si proche (être pudiquement nommé par la lettre « H. » ; ses paroles réveillées), devient ce qui est non-séparé-de-soi.
Et le voyage s’affirme – par l’élan et la soif d’inconnu (mordre à pleine bouche l’inconnu) qui le caractérisent –, en réunissant deux êtres, dans un même mouvement inconnu au sein de l’inconnu, comme ce qui est propre à exhausser l’un et l’autre êtres. Non comme entités distinctes, mais comme points de l’espace et du temps permettant que se déploie la lumière d’un élan autre (celui de l’amour). Élan partant de l’un et de l’autre êtres, sans rien pour le freiner, encore moins l’empêcher. Élan qui, en les faisant se rejoindre – c’est sa vocation –, fait qu’ils se découvrent, dans la nudité du ressenti, n’avoir d’identité profonde et véritable que celle qui est de se trouver réunis dans une seule main du temps…
Peut-on attraper, avec le lasso des phrases, l’émotion qu’il y a à être en mouvement, dans le dédale de ruelles, au sein d’une ville étrangère, apprivoisant son cœur en le confrontant à l’inconnu ?
Et en le confrontant à l’inconnu(e) que devient merveilleusement son amour, plongé(e) dans le tourbillon du nouveau ? Du nouveau qui résonne musicalement à chaque phrase que dictent aux oiseaux, à leur vol, au-dessus de nos têtes, les frémissements de l’architecture ?
Jean-Paul Bota s’y emploie, dans une langue qui chemine superbement. Et si l’émotion de l’auteur est fortement et à chaque instant perceptible dans Usage des cendres – perceptible au point de devenirnotre émotion –, l’on perçoit, ressent davantage encore.
C’est le voyage même, dans sa densité brute, et pourtant si fuyante, étant faite de la ténuité de moments tenus ensemble, que l’on ressent.
Lisant, l’on s’embarque. L’on s’est embarqué. Le langage, dans sa découpe tout à la fois précise et moirée, nous donne à entendre le son de notre propre cœur, quand nous sommes jetés hors de nos habitudes pour être posés au centre d’une émotion : celle de se découvrir à nu, vivant sur la peau du monde, face à sa beauté secrète et inavouée, face à sa musique.
Non.
En plein cœur de sa musique – avec laquelle se confondent la nature et l’architecture dans leur mouvement presque immobile (mais tellement vivant, au sein même de cette immobilité).
En plein cœur, oui, de cette musique qui nous touche au plus profond, nous harponnant au-dedans de nous-mêmes, pour que nous mourrions et renaissions aussitôt, pour que nous ne puissions plus nous en retourner ; pas même tourner la tête pour fuir du regard ce qui s’offre à nous, s’impose : la beauté.
Cette beauté du monde, du monde qu’il parcourt (« ce qui demeure, loin, parmi les herbes brûlées »), Jean-Paul Bota nous la fait ressentir au moyen de la musique si particulière de sa langue*, qui tient aussi à la musique du visible, dans la façon suivant laquelle il use de l’italique par exemple.
Matthieu Gosztola
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