Une vie dans les mots, Paul Auster I.B. Siegmundfeldt (par Jean-François Mézil)
Une vie dans les mots, Paul Auster I.B. Siegmundfeldt, traduit de l’américain par Céline Curiol, 2020, 340 pages, 23,80 €
Ecrivain(s): Paul Auster Edition: Actes Sud
Ce recueil passe au crible six écrits autobiographiques et dix-sept romans de Paul Auster, le tout présenté sous la forme de vingt-trois entretiens entre l’auteur et Inge Birgitte Siegumfeldt, professeur d’université à Copenhague. Chacun des entretiens porte sur un écrit ou un roman.
Avant eux, un prologue. Paul Auster y explique qu’il n’est guère en mesure de répondre aux questions pourquoi et comment. Il préfère s’en tenir « au quoi, au quand et au où ».
Il veut aussi profiter de ce livre pour « éclaircir les choses », voire même « rectifier des erreurs monumentales » (aussi bien sur lui-même que sur Siri Hustvedt), « tant dans la presse écrite que sur Internet ».
On trouve, dans les entretiens qui suivent, quantité d’anecdotes (il a, par exemple, terminer Espaces blancs le soir où son père est mort), de commentaires (« l’inconscient joue un grand rôle dans l’invention d’histoires »), de citations (comme la formule de Beckett : « Échouez encore, échouez mieux »), d’aveux (« Je ne lisais pas beaucoup de livres quand j’étais jeune. La littérature est venue plus tard »), de réflexions (« L’écriture ou la peinture remplacent le mouvement dans l’espace ») – une mine pour qui s’intéresse de près à l’œuvre d’Auster.
Encore faut-il bien la connaître pour apprécier l’accumulation de détails et d’explications. Siegumfeldt et Auster décortiquent en effet chacun des livres et nous parlent par le menu de bien des scènes.
Un livre réservé aux experts austeriens ? À mon avis, oui, si l’on attaque cet opus de A à Z.
Pour les autres, la meilleure approche n’est pas de l’avaler d’une traite. Y recourir plutôt par épisode, juste après avoir lu l’œuvre concernée : se servir du chapitre correspondant comme d’une postface.
Les autres chapitres attendront, car pour qui n’a pas lu le livre qui en est l’objet ou ne s’en souvient que de loin, l’intérêt est fortement amoindri, sauf pour ce qui est des passages où Auster se dévoile, notamment quand il parle de son travail d’écriture.
Quelques exemples glanés çà et là (on me pardonnera d’en citer autant, l’écrivain que je suis n’a pu s’en empêcher) :
« Sans un stylo à la main, je n’ai pas les mêmes pensées. »
« La plupart des écrivains se satisfont très bien des modèles littéraires traditionnels et sont heureux de produire des œuvres dont ils ont le sentiment qu’elles sont belles, vraies et bonnes. J’ai toujours voulu écrire ce qui, pour moi, semblait beau, vrai et bon, mais je me suis intéressé à de nouvelles façons de raconter des histoires. Je voulais tout mettre sens dessus dessous. »
« Écrire un roman, c’est être victime d’un sortilège. Vous devenez le personnage – qu’il s’agisse d’une personne âgée ou jeune, d’une femme ou d’un homme. Si vous êtes capable de descendre assez profond en ce point de l’inconscient où tout s’ouvre en vous, alors vous y arriverez. »
« Quand je commence un livre, j’ai une idée de l’histoire, souvent une idée vague, puis j’avance petit à petit – guidé par mon intuition et mes tripes. »
« Plus j’écrivais, plus je comprenais que ce qui est laissé de côté est tout aussi important que ce qui est utilisé. […] tout ne doit pas être dit. Il doit rester des blancs que le lecteur puisse combler. »
« Vous écrivez avec vos tripes, vous écrivez avec votre inconscient, mais ce n’est pas non plus de la sauvagerie pure. Tout n’est pas qu’impulsion. Tenter de bien écrire requiert aussi art et technique. Ce pourquoi les écrivains passent tant de temps à revoir leurs phrases et leurs paragraphes. Écrire, c’est surtout réécrire. »
« Vous entrez en eux [les personnages] et très vite, ils vous annoncent ce qu’ils ont l’intention de faire. Je ne les manipule pas. »
« Je n’avais rien prévu au départ mais l’inattendu n’a cessé de surgir au fil du texte. »
Et peut-être, comme mot de la fin :
« Chaque livre est une expérience différente. »
Inge Birgitte Siegumfeldt est professeur de civilisation anglaise et germanique à l’université de Copenhague au Danemark. Elle est à l’origine de la création du Centre Paul Auster de l’université de Copenhague, où elle est professeur au département des études d’anglais.
[source : Actes Sud]
Jean-François Mézil
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