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Une position pour dormir, François Heusbourg (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 18.11.24 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Une position pour dormir, François Heusbourg, Gallimard, octobre 2024, 106 pages, 16 €

Une position pour dormir, François Heusbourg (par Didier Ayres)

 

Flottement

Le maître mot de ce recueil de François Heusbourg : le flottement. Je dis flottement non pas pour souligner une indécision ou une incertitude mais pour caractériser une écriture issue d’une hésitation presque involontaire, qui se cherche, tremble sur la réalité qu’elle est censée désigner. Donc, un dédoublement mieux qu’une indétermination.

 

à force de vouloir être au monde

on s’en éloigne

notre monde s’éloigne du monde

on cherche des solitudes

des fragments de solitudes

des formes d’objets oubliés

on s’y repose un temps

fantômes de cuillères et de lits

je fixe un objet

et ce que je pensais ouvrir se referme sur moi

 

Cette fluctuation confine à la solitude (un des traits pour Blanchot, qui est au fondement de l’action d’écrire) et à l’occupation de la réalité, donc à un partage de soi au sein de l’abri du poème. Vie, mort, fin et espérance. Solitude, désespoir et art, autres épithètes, peuvent faire une entrée dans l’intellection du poète niçois, même si sa littérature rayonne.

 

ce que tu touches

la limite des autres, quand tu regardes

le dos tourné

la distance au monde

le voyage muet – tu ne sais pas – tu es seul

tu es seul dessous

tout seul contre toi

 

On franchit comme lecteur le secret parfois sensuel, celle du corps éveillé ou dormant, en tout cas le vif de la vie – qui peut être aussi assez sombre. Le corps aimé et presque son regret simultanément. Et pour cela il faut la fragilité et la souplesse d’un flottement. Il est nécessaire d’entrer dans cette demeure vague et profonde. En un sens, c’est une activité fantomatique, éthérée et subtile. Une espèce de seuil psychopompe (à trouver dans le chant 13 de L’Odyssée).

Par ailleurs, quelle est la position que l’on nous annonce en titre ? Est-ce une position du corps prise pour oublier tout dans le sommeil ? pour mourir ? ou pour exister ? pour écrire ? Quoi qu’il en soit, c’est ce tremblement (cette crainte et ce tremblement que nous retrouvons chez Paul) qui nous conduit à l’exaltation. Il nous échoit une flottaison dans l’espace et le temps. Et ce paradoxe est nôtre : comprendre la réalité mais sans sa physique, une réalité recomposée où naviguent l’identité et le sens donné à soi par autrui. Le Tu s’absorbe dans le On, le Nous dans le Vous, le Vous dans l’inquiète présence de quelque chose de demi-flou. Donc, c’est bel et bien la suspension qui est le véhicule de cette machine poétique. Elle nous offre le séjour ambigu de la poésie.

De ce fait il nous faut un fil d’Ariane, pour pérégriner dans ce petit labyrinthe de la vie intérieure de l’auteur, sa question, son Sphynx. Et c’est à ce fil que l’on doit en partie le récit final de l’écrivain. L’on oscille, l’on tremble, l’on continue à rêver à cette vie à demi-dévoilée. Et ce récit dessine le bord du poème (si l’on peut considérer que le bord est en définitive la forme).

 

j’attends la main brisée

dans un couloir

bruissements d’hommes et de femmes

portes battantes

glissements d’hommes et de femmes

dans l’hôpital

où l’on prend la mesure du temps

au milieu des brancards

chargés de corps oubliés

 

Didier Ayres



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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.