Une petite randonnée, Sonia Chiambretto
Une petite randonnée (P.R.), Actes Sud-Papiers, 2012, 66 pages, 16,50 €
Ecrivain(s): Sonia Chiambretto Edition: Actes Sud/Papiers
Le texte de Sonia Chiambretto s’ouvre sur une carte, un itinéraire géographique et un plan du texte en quelque sorte. Les toponymies renverront aux divers « tableaux » de la pièce. Nous pouvons suivre la fable : une troupe de théâtre part en tournée suite à des difficultés concernant le projet culturel européen, à travers les Alpes de Haute Provence. Elle s’installe dans des lieux improbables dignes des expérimentations théâtrales des années 70, depuis un abattoir, jusqu’à une bergerie en passant par un centre de secours. La fable d’ailleurs tient aussi du romanesque. Le chef de la troupe se nomme Don Quichotte, chevalier de la cause théâtrale secondé par Sancho, perchman de son état. Les scènes portent des titres de romans du dix-septième siècle : où l’on raconte l’entretien que Sancho eut avec son maître…
La troupe change de lieux, se retrouve dans des villages perdus (ceux annoncés par la carte). Nous ne sommes pas si loin du premier chapitre du Roman comique de Paul Scarron : « une troupe de comédiens arrive dans la ville du Mans ». Mais le romanesque, la linéarité du propos n’est pas l’enjeu principal. La question du théâtre contemporain, sa survie constituent les angles d’attaque de l’auteur et ce, dès la dédicace. Thierry Raynaud a mis en scène le texte en 2007 ; il est lui, le grand et magnifique comédien des aventures théâtrales de Hubert Colas et de Sonia Chiambretto. Le premier lieu du texte n’est autre qu’Avignon-ville-théâtre, hantée par la figure de Jean Vilar, prophète du théâtre populaire de même que Chaillot. Tous les personnages gravitent autour du monde du théâtre ou du spectacle vivant : chorégraphe, directrice de théâtre, intermittente, auteur, comédienne, techniciens et spectateurs. Nous sommes au cœur de la tradition du théâtre dans le théâtre, des souvenirs del’Impromptu de Versailles surgissent dans ces séances cocasses et moquées de répétitions (Molière est cité). Le dialogue devient tendrement satirique. Sonia Chiambretto fait dire aux spectateurs que ce théâtre quelque peu conceptuel : filmer des habitants des villages et utiliser leur parole comme texte, est déstabilisant :
LA FEMME DU DEBUT. On n’a qu’une envie, c’est que ça se termine.
Un peu plus loin :
LE PREMIER HOMME. Moi je n’ai rien pensé, j’ai essayé d’écouter, d’être réceptif à ce qui se passait. L’histoire d’une mère, d’un abandon, d’un enfant noyé, mais je n’en pense rien pour l’instant.
Le théâtre finalement est une mission et une question politique. Quelle est sa place ? Où est sa place ? Avec quel argent le finance-t-on ?
L’agente culturelle se désole violemment et attaque le spectacle de Don Quichotte et le jeu scénique de la comédienne Zaza :
Trop urbain tout ça !
Ils ne respectent pas le contrat !
Le public est dérouté !
L’adjoint à la culture veut ma peau !
La troupe finit par aller dans la forêt, vers la montagne, celle de la petite randonnée. Tout se disloque sous la pluie. Derniers lieux de combats. Sonia Chiambretto a gardé en mémoire le mouvement des intermittents en 2003 et ses luttes. La fin du texte se déroule à Paris et plus symboliquement place de la Bastille. Texte en lettres capitales, texte-slogan qui tourne sur lui-même et qui reprend les premiers mots du tableau I.
CULTURE EN BERNE
Les comédiens sont cagoulés, défendent le théâtre même si Don Quichotte est mort. Sancho le remplace et l’Armure devient Sancho. Le théâtre survit à tout même au pire. Et toujours renaît. Sonia Chiambretto sait de quoi elle parle, elle qui ouvre dans ses territoires abandonnés des grandes institutions culturelles.
Marie Du Crest
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