Une longue nuit d'absence, Yahia Belaskri
Une longue nuit d’absence, mars 2012, 158 pages, 15,20 euros
Ecrivain(s): Yahia Belaskri Edition: Vents d'ailleurs
C’est un roman pour ainsi dire plein d’Histoire(s), c’est-à-dire d’idéaux, de larmes, de sang, de douleurs, d’exils et de volonté humaine. Un roman en va-et-vient entre les deux rives de la Méditerranée, et entre deux guerres civiles, celle d’Espagne et celle d’Algérie.
Yahia Belaskri, ambitieux, empoigne trois ou quatre décennies de feu, retrace la vie de populations entières, et éclaire avec une belle maîtrise de son sujet deux conflits majeurs dont le fond commun est la quête de justice et de liberté.
Francisco, dit Paquito, puis Paco, est né en Andalousie autour de 1920 ; il mourra en 2006. Entre ces deux dates, que de choses ! Un engagement à l’âge de seize ans dans les rangs des républicains qui combattent Franco (un… enfant-soldat), la clandestinité quasi permanente, le déchirement d’une vie familiale impossible, la défaite et l’exil dans l’Algérie française, la suspicion des autorités (il est militant du Parti communiste espagnol), les camps d’internement, l’activisme et les incursions téméraires dans l’Espagne franquiste, puis, alors qu’il veut s’apaiser un peu dans le bonheur conjugal, une autre guerre, de décolonisation, où il est pris comme dans un étau par le FLN et l’OAS, l’indépendance sanglante, un autre exil, en France… métropolitaine.
Le roman est divisé en deux parties intitulées L’Espagne, mon amour et Me gusta Orán. C’est en effet de bout en bout le roman de la fidélité invincible à la terre, au pays qu’on aime.
« Jamais il n’a renoncé à son Espagne, encore moins à son Andalousie natale. Lorsque la Russie avait fait appel aux républicains internés dans les camps, il avait refusé de partir pour ne pas s’éloigner de la patrie et ne pas élargir le fossé entre sa femme et lui. À Oran, dès qu’il avait le blues, il allait au bord de la mer, à Aïn Franin toujours, et perdait son regard sur la ligne d’horizon, révélant à ses yeux un bout de terre espagnole, une illusion qui le faisait vivre et espérer ».
« De Santa Cruz, quand le regard plonge sur la ville et que les vapeurs marines blanchissent le ciel d’une fine pellicule, le saisissement est immédiat, violent, car là se confondent la sensation de bonheur et un vertige soudain, entraînant une adhésion à la ville. C’est une impression étrange qui donne toujours des frissons à Paco ».
Ce pourtour de la Méditerranée, depuis toujours, est une exceptionnelle zone de brassage humain et culturel. Belaskri donne à voir et à sentir cela. Le début de la seconde partie du roman est un intense hommage à la ville d’Oran où se côtoient toutes sortes de nationalités et de croyances religieuses dans une bonhomie qui ne laisse nullement augurer qu’une féroce guerre d’indépendance va éclater. L’auteur, ou le narrateur (qui honore volontiers, au passage, tels créatifs administrateurs ou industriels coloniaux) ne dissimule pas son amertume face aux événements qu’il conte.
« Trois estropiés de l’histoire réunis autour d’une lampe de quinquet blafarde, se racontant, se livrant, un thé chaud agrémentant la veillée. Trois destins broyés sur l’autel de l’Histoire ».
C’est du reste la petite réserve que peut émettre le lecteur, cette empathie un peu appuyée du narrateur ; précisément parce que la belle richesse de ses descriptions suffit à nous faire ressentir les choses.
Théo Ananissoh
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