Une infinie tristesse, Alfredo Bryce-Echenique
Une infinie tristesse (Dándole pena a la tristeza), février 2015, trad. espagnol (Pérou) Jean-Marie Saint-Lu, 280 pages, 19 €
Ecrivain(s): Alfredo Bryce-Echenique Edition: MétailiéChronique d’une décadence attendue
Voilà une saga familiale qui tourne bien mal. Qui tient même plus du jeu de massacre que de quoi que ce soit d’autre. Tout commence avec l’ancêtre à l’origine de cette dynastie liménienne (de Lima) au début du siècle dernier, Don Tadeo De Ontañeta, devenu très riche et très vieux. Une vieillesse qu’il accepte assez mal comme il annonce dès l’ouverture de cette « infinie tristesse ».
– Ne vieillis jamais, Alfonsinita… Ne sois jamais vieille, au grand jamais.
– …
– Et encore moins archivieille, Carlita, jamais…
– …
– Et toi non plus, Ofelita… Ne sois jamais archivieille, ce qui s’appelle jamais… Et encore moins archivieux, comme moi. Archivieux, comme moi. Archivieux pour de bon comme moi seul peut l’être. Archivieux, comme moi seul, ça alors non, jamais, jamais, jamais, Elenita…
C’est que don Tadeo va avoir 105 ans. Et cela il entend bien le fêter en grande pompe, dans la serre monumentale qu’il s’est fait construire – sorte de Crystal Palace privé à l’échelle de son immense fortune – ne serait-ce que pour contrarier Don Fermin Antonio, son héritier. Un 105e anniversaire qui sera le dernier qu’il célébrera malgré tout et qui aurait pu s’achever sur un scandale plus énorme que la fameuse serre. Mais Don Fermin a su magistralement gérer une situation bien compromettante pour l’ancêtre et ses héritiers. Apparence et fortune seront sauves. Car dans ce monde-là, on peut se permettre bien des choses, pour peu qu’elles demeurent tues, cachées, secrètes même. Et génération après génération, jusqu’à notre époque cela n’ira pas vraiment en s’arrangeant. Cette famille est sans doute, comme l’ancêtre légendaire, devenue vieille, archivieille… et cela, il ne le faudrait pas. Il ne l’aurait pas fallu.
De génération en génération les apparences seront de plus en plus difficiles à sauver, tout comme la fortune et le statut social qu’il faudra toujours maintenir à bout de bras, à coup d’intrigues, de secrets, quand ce n’est pas pire. Mais le pire est toujours mené avec la bonne conscience, celle qui empêche d’hésiter quand nécessité a force de loi, quel que puisse être le prix à payer.
Un famille somme toute plus amorale qu’immorale, mais éprise de style. Un style que l’auteur s’amuse à restituer avec une ironique emphase dans l’écriture qui en rajoute dans la belle écriture telle que pouvait l’entendre l’académie et le bon goût bourgeois. Un écriture qui presque insensiblement évolue au fil des générations et des pages, ponctuées de sonores écarts aux conventions, laissant fugacement transparaître la vérité des De Ontañeta, effrayante dans sa rationalité calculatrice qui n’est peut-être, tout compte fait, qu’une résistance désespérée contre cette infinie tristesse d’un monde peuplé de fantômes qui n’en finit pas de finir.
Une infinie tristesse est le 8è opus de l’auteur péruvien publié par les éditions Métailié et tous traduits par Jean-Marie Saint-Lu. Son œuvre n’est que partiellement traduite et compte plus d’une vingtaine de titres rassemblant contes, romans et chroniques.
Marc Ossorguine
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